Contributeur(s) :
Traducteur : Marc Amfreville
Un coup de coeur de Mollat
Nous avions planté Le dernier arbre dans nos livres préférés de la rentrée 2013, impressionnés par la prose flamboyante d'un auteur américain né en 1947 et jusqu'alors inconnu au bataillon. Le roman que nous propose le Seuil en cette nouvelle rentrée est plus épais et pas moins réussi.
Nos disparus est un livre enthousiasmant qui nous fait traverser l'Atlantique en novembre 1918 sur les traces d'un soldat néophyte qui de la Grande Guerre ne verra que des terres dévastées que son régiment doit déminer, avant de rejoindre sa Louisiane natale où l'attend son destin qui a les contours d'un vaste fleuve. Surnommé Lucky parce qu'il n'a pas combattu, le jeune homme, qui a perdu un enfant en bas âge, espère repartir d'un bon pied dans la vie en remplissant une fonction de responsable d'étage dans un grand magasin. Mais la fatalité s'en mêle quand une gamine de 4 ans est kidnappée et qu'on lui fait porter le chapeau de cette disparition avant de le virer. Parce qu'il n'a pas le choix et que les parents de la fillette sont musiciens sur l'un de ces grands bateaux à aube qui vont et viennent sur le Mississipi et qu'ils lui demandent de tout faire pour la retrouver, il se fait engager sur un gros rafiot qui tient par la peinture qu'on rajoute chaque année sur ses planches vermoulues, l'Ambassador. C'est de là qu'il va lancer son enquête, partageant le quotidien de ces moins-que-rien qui triment jour et nuit pour le plaisir sans raffinement de rustres qui découvrent le jazz, eux qui accueillent la lie des bords de fleuve pour des soirées dansantes où Lucky remplit son office de troisième lieutenant en séparant les bagarreurs. Il s'échappe de temps à autre pour suivre une piste et parvient, par chance, à retrouver la piste des kidnappeurs puis du couple de riches bourgeois qui ont acheté la petite. Confronté au dilemme de laisser cette enfant chez des gens riches qui la combleront ou de la rendre à des misérables qui tireront toute la vie le diable par la queue, Lucky va oser un choix qui fera basculer toute sa vie.
Avec Gautreaux, point de simagrées ou de morceaux de bravoure, pas d'astuces ou de ficelles comme les Américains savent les tirer : seulement la puissance d'un verbe inspiré qui suit les courbes d'un fleuve et accompagne cette plèbe avec un regard où la compassion n'exclue pas le rire. Emportés, séduits, captivés, les lecteurs ne voient pas défiler les 600 pages de ce pavé liquide mais sans mare. C'est cela qu'on appelle un page turner, non ? Sans doute, mais mieux encore. Plongez donc dans le Mississipi fascinant de Tim Gautreaux !