Ce n'est pas qu'elle soit fainéante, non. C'est plutôt qu'elle aime les choses simples de la vie : caresser les oreilles d'un chien qui pose sur elle un regard franc, s'émerveiller d'un coucher de soleil, rire de la pluie qui chatouille ses joues...

Issue d'un milieu ouvrier qu'elle a fui à toute hâte, elle deviendra une petite dactylographe dans un cabinet d'architectes et lorsque Monsieur Léon, son patron, lui fait comprendre qu'elle lui plaît, Anna se dit pourquoi pas, il faut bien vivre. Un homme qui s'avérera être un amant insipide doublé d'un professeur de vie et de bonnes manières qu'Anna n'intégrera jamais.

« La première fois que j'ai fait l'amour avec lui, il est resté après sur moi. Son sexe tapi dans le mien. Il a cherché en tâtonnant des livres sous le lit. Il m'a lu des poèmes d'Eluard. J'ai dodeliné du chef pour ne pas hurler. J'étais déçue. Immobile comme un petit animal vertébré dans du formol. Il m'a parlé aussi du livre de Yourcenar l'œuvre au noir dont je ne comprenais même pas le titre. »

Anna ne connaît rien à la poésie soviétique, ni à l'art en général. D'ailleurs elle n'a même pas son bac. Mais elle veut bien le passer si cela peut lui apporter un peu de contenance lors de ces conversations intellectuelles qui la dépassent. Jusqu'au jour où.

Il est là, devant elle, avec sa carrure d'homme libre, simple comme elle. On est loin du coup de foudre hollywoodien mais c'est bien en une étincelle qu'Anna et Nathan tombent fous amoureux et décident de partir ensemble sous les regards incrédules de leurs amis. Un amour chimique qui va la révéler à elle-même ou plutôt qui la laissera être elle-même. Et puis la vie est cruelle, on le sait.

« Tant d'années avant de rencontrer l'amour et quelques instants pour qu'il meure comme un chien qu'on écrase ». D'abord, on se meurt d'amour. Et puis l'amour meurt. Il faut bien continuer à vivre.

Ce bref roman (140 pages environ), sous ses airs mélancoliques, est une magnifique ode à la vie, la vraie. Celle qui, en nous volant nos amours, laisse un goût amer, insupportable. Et qui finalement cherche à nous réapprivoiser alors qu'on pensait avoir touché le fond.

Le style impeccable de Sylvie Aymard vient s'équilibrer entre un ton à la fois acerbe, cynique, et une plume d'une rondeur infiniment romantique.

Un texte qui reste très longtemps en tête. Immense coup de cœur. Courir dans les bois sans désemparer est paru aux éditions Maurice Nadeau en 2006 et est sorti chez Le livre de Poche en février 2016. Il s'agit du premier roman de l'auteur.