« Merde, il pleut. » Oui, je sais, ça commence fort et autant vous le confier, cette phrase -pour percutante et efficace qu'elle soit - n'est peut-être pas la plus représentative du style de Thomas Carreras. Préparez-vous à lire un roman détonnant, au rythme fou et à l'imagination débridée (mais le terme est-il assez fort ?) avec en guest star Stevie Wonder dans le rôle de sa vie et des canards, beaucoup de canards.

Merrywaters, bled paumé de la riante Angleterre sert chaque année de décor à un festival de musique (rock, of course) à l'affiche aussi prestigieuse que sa réputation est sulfureuse. De quoi attirer la jeune Ginger débarquée de son Nevada natal, trempée donc (cf la première phrase) et bien décidée à décrocher un job, un toit et une assiette bien remplie trois fois par jour (bière bienvenue) en attendant que le festival débute. Quelques échanges (bien sentis) plus tard, elle emporte le morceau et se retrouve engagée comme serveuse au Black Lion, pub tenu de main de maître par une tribu de plusieurs générations vivant sous le même toit. Dans la cour, de la boue, des canards, des poules, un petit côté moyen-âge aux yeux d'une américaine du XXIème siècle. Et jusque-là, tout va bien.

Après, et bien après on ne va pas vous gâcher le plaisir de découvrir par vous-même comment tout ça bascule. Sachez qu'après avoir entendu un papy soi-disant mutique lui raconter les aventures peu banales du chef des canards de la basse-cour (dit le désosseur), Ginger va commencer à regarder les canards d'un autre œil. De là à commencer à se dire qu'ils la surveillent...Oui, le pas va être franchi et plus encore ! Le roman que vous allez lire, outre qu'il est hilarant que vous ne pourrez vous empêcher de partager avec vos proches quelques répliques cultes (voire de lire des passages à voix haute à votre entourage) est servi par une écriture des plus énergiques, où les répliques des dialogues semblent rebondir comme les balles dans un match de tennis de table de niveau international. Thomas Carreras s'amuse visiblement autant qu'il aime à surprendre et à amuser son lecteur, multipliant les références au cinéma, y compris dans la forme même du roman qui emprunte des procédés narratifs propres au 7ème art. Comme dans son précédent roman 50 cents, il ose tout et tout lui réussit. Je n'ai qu'une question : de quoi est-il encore capable ? Le jeune et fort talentueux romancier insuffle à la littérature du sang neuf, hyper oxygéné et nous offre un livre qui lui ressemble, fougueux, gourmand et inventif !

Un coup de maître et de notre part, coup de chapeau !