Un coup de coeur de Mollat
Rush Island, 2037. Imaginez une île très urbanisée, où l'on habite le quartier Buzzati, où l'on flâne Rue Tolstoï et où l'on rencontre ses amis pour un dernier verre au "Rouge et le noir".La dictature du livre et de l'écrit, instaurée par la glaçante et fascinante impératrice Harmony fait respecter la loi par ses fameuses "brigades de l'œil", milices zélées qui parcourent la ville en tout sens pour traquer les résistants en possession des ultimes images ayant échappé à la grande destruction. Tout possesseur d'une ou plusieurs images les verra brûler sous ses yeux, dernière vision avant que ses rétines ne soient irrémédiablement détruites par les hommes de la brigade.
Telle est la punition pour avoir oser défier la loi Bradbury, qui interdit toute image, sous quelque forme que ce soit. Alors que des milliers de citoyens aveugles marchent dans les rues et que la résistance s'organise, des rumeurs circulent au sujet de bobines de films miraculeusement préservées...
Après l'excellent "Je mourrai pas gibier" paru dans la même collection, DoAdo Noir, aux éditions du Rouergue, Guillaume Guéraud a choisi le roman d'anticipation pour parler de révolte, de liberté, de son amour du cinéma et d'amour... tout court.
Avec cet hommage vibrant à Bradbury et à son célèbre Farenheiht 451, Guillaume Guéraud réussit un vrai coup de maître : un roman palpitant qui dit le choix - le devoir ? - qu'ont les hommes de résister, toujours, à la tyrannie, l'enchantement que l'amour amène dans la vie d'un être et la force qu'elle lui insuffle, et l'amour pour cette lanterne magique, porteuse de tous les désirs des hommes depuis plus d'un siècle et que Guéraud ne doit certainement pas considérer comme le septième art mais bien comme le premier tant la passion qu'il lui voue est ardente.
C'est sans doute à cette source qu'il trouve ce qui fait de lui un écrivain qui joue plus que jamais dans la cour des grands : à savoir une écriture d'une très grande puissance d'évocation, un sens de la narration, du rythme digne des plus grands monteurs de cinéma. Les images qu'il ose sont éblouissantes de poésie, saisissantes de vie et d'émotion, leur violence tout autant maîtrisée qu'assumée.
Il faut lire Guillaume Guéraud comme il écrit, dans l'urgence, la nécessité que l'on soit adolescent ou adulte. C'est un très grand roman et, par chance, un encore jeune auteur. Alors, longue vie, monsieur Guéraud et mille fois merci.