Un coup de coeur de Mollat
Femme sans âge que les villageois décrivent avant tout comme solitaire et mystérieuse, Tzia Bonaria Urrai génère la surprise générale et de nombreux commérages lorsqu'elle demande à la mère de Maria Listru si celle-ci consentirait à lui laisser prendre en charge l'une de ses filles. S'il ne fait aucun doute que cette proposition enchante la veuve Anna Teresa Listru, pour qui cette quatrième bouche à nourrir ne constitue ni plus ni moins qu'un fardeau tant qu'elle n'est pas en âge de contribuer au bon état des finances familiales, les raisons qui ont motivé l'étrange requête de Tzia Bonaria Urrai demeurent obscures. Est-ce par pur altruisme et bonté d'âme qu'elle a décidé de s'occuper de cette petite fille ? Ou le motif de cette adoption est-il moins désintéressé qu'il n'y paraît ? Ce ne sera qu'au bout de quelques années, quand Maria aura baissé sa garde et définitivement fait sien ce nouveau foyer, qu'elle découvrira l'occupation nocturne de celle qu'elle croyait connaître parfaitement.
C'est ainsi que, outre le thème de l'adoption et des difficultés de la vie dans cette Sardaigne reculée, Accabadora brode sa toile narrative autour d'une pratique ancestrale, abordant de plein fouet des questionnements qui touchent au sens de la vie et au rapport de chaque être humain avec sa propre mort. Comme Maria l'apprendra a ses dépens, rien n'est aussi simple qu'il n'y paraît et chacun a le choix entre subir la vie (et la mort) ou embrasser son libre arbitre.
Autant vous dire qu'avec l'âpreté de ses descriptions et le caractère aussi intemporel qu'universel de son histoire, ce superbe roman réussit l'exploit de se placer à mi-chemin entre le Noir toscan de Anna Luisa Pignatelli et la Maison des autres de Silvio D'Arzo, deux véritables joyaux des Lettres italiennes.