Un coup de coeur de Mollat
Fable qui baigne dans un irréel proche de l'absurde car rien ne nous est expliqué, Le Puits suscite d'emblée notre inquiétude. Qui est responsable de leur situation ? La mère qui leur a confié un sac avec un peu de nourriture à laquelle ils se refusent de toucher ? Nous ne le saurons pas, du moins pas au début de cette histoire sans fond qui joue d'entrée à brouiller nos repères, géographiques et temporels (un brouillage amplifié par les chapitres dont la numérotation semble se dissoudre, comme si nous manquions des épisodes et que cela importait peu). Emprisonnés à sept mètres de fond, incapables de se hisser sans risquer l'éboulement meurtrier, sans repères, ils livrent devant nous un combat pour rester en vie, ne pas sombrer dans la folie, garder un espoir infime de reprendre pied sur cette terre ferme dont il ne voit plus rien que le bord, les yeux tournés vers un ciel désespérant. L'un soutient l'autre qui veut renoncer, qui tombe malade, qui délire, qui craint les loups rôdant au-dessus du piège mortel. L'autre se fait plus petit qu'il n'est, peau sur des os desquels il tire une étrange musique funèbre, refusant de manger les insectes et les larves que l'aîné a laissé se développer sur la carcasse de l'oiseau tombé dans le puits et qu'ils n'ont pu avaler. Dans quel univers est-on ? Un cauchemar, comme ceux que la nuit invente et dont le matin nous délivre, incrédules que nous sommes alors face à ce qu'il faut en comprendre. Ici, point de morale mais la description de deux jeunes corps prisonniers de leurs esprits et de leurs délires : ne se sont-ils pas persuadés que la mère vient les regarder au fond de leur trou pendant qu'ils dorment d'un mauvais sommeil dans la terre boueuse qui leur sert de couche avant de devenir leur linceul ? Comme dans certains textes du méconnu Maurice Pons, ses nouvelles ou Les Saisons dont on ne répètera jamais assez l'importance qu'il a dans la littérature souterraine du XX° siècle, la raison ne nous est d'aucune aide pour nous soulager de l'oppression qu'engendre une écriture serrée, dense, sans interstice mais d'où sourdent pourtant une inquiétante lumière, des éclats cendrés, un espoir incertain. On ne fera pas lire ce livre aux enfants qui n'ont pas besoin de nous pour peupler de monstres et de terreurs les longues traversées de la nuit. On le fera lire aux adultes qui croient encore que la littérature peut nous suffoquer, nous tourmenter sans cesser de nous fasciner, que de la crainte la plus primitive peut naître la beauté. Beauté de la fange, de l'obscurité, de l'enfouissement, de l'absolu de l'angoisse.
Ivàn Repila est un auteur né à Bilbao en 1978. On aimerait que ce ne soit pas le seul signe qu'il nous envoie de cette ville qui nous est si proche. On aimerait aussi que les Français réservent le meilleur accueil à ce roman qui est un des plus marquants de cette rentrée.