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Un coup de coeur de Mollat
Stéphane Velut, neurochirurgien, signe ici son premier roman et s'impose d'ores et déjà comme l'un des écrivains phares de cette rentrée littéraire.
Nous sommes à Munich, en 1933. Hitler vient juste d'accéder au pouvoir. S'ils ne sont pas en première ligne, les artistes ont cependant du souci à se faire. Beaucoup optent d'ailleurs pour l'exil afin de pouvoir continuer à allier créativité et liberté. Peintre de son état, le narrateur de Cadence, le premier roman de Stéphane Velut, choisit pour sa part de rester en Allemagne. Après tout, ses principes sont malléables. Le Führer exige qu'il réalise le portrait d'une petite fille - une petite poupée blonde aux yeux bleus, cela va sans dire - pour symboliser ce que l'avenir de l'Allemagne a de radieux maintenant qu'un nouveau chancelier plein de dynamisme et d'ambition est à la tête du pays ? Soit. Nourri et logé aux frais du gouvernement, notre peintre emménage avec sa protégée dans un appartement spacieux situé au premier étage, 18, Betrachtungstrasse, juste au-dessus de Félice, sa logeuse et future complice. Pour autant, entre la mission qui a été assignée à l'artiste et le dessein que celui-ci a en tête, il y a bel et bien un monde... Loin de préserver la beauté éclatante de la petite fille, notre homme, qui semble animé de curieux élans de marionnettiste, va tout bonnement se livrer à sa déshumanisation, et ce d'une façon aussi préméditée que méthodique, faisant d'elle sa chose, son “jouet”, et finalement un “corps créifié”. Bien que parfaitement conscient des risques encourus, il ira jusqu'au bout d'une expérience qu'il va mettre un point d'honneur à raconter dans son journal, quand bien même il est pressé par le temps. Les pages de Cadence constituent ainsi un témoignage renversant qui permet au lecteur d'effectuer une plongée à la fois vertigineuse et perturbante dans l'esprit d'un être névrosé, monomaniaque et pervers qui a de toute évidence érigé la torture au rang d'art.
Que de choses à dire à propos de ce puissant huis clos ! D'une part, comment ne pas être époustouflé par la grande maîtrise narrative dont fait montre l'auteur, qui se trouve par ailleurs être neurochirurgien. Ce qui, en d'autres circonstances, pourrait n'être qu'un détail anodin permet ici de comprendre peut-être plus aisément d'où provient ce rapport au corps si ... troublant. Qui plus est, Stéphane Velut (quelle ironie, pour quelqu'un qui s'attache avec autant d'acharnement à supprimer toute forme de pilosité chez son sujet...) signe ici un livre d'une richesse incroyable dans lequel on percevra l'influence de textes fondateurs de la littérature contemporaine tels que Frankenstein, La métamorphose (à commencer par les personnages de Félice et d'Ottla, qui étaient des correspondantes de Kafka), La ferme des animaux ou encore Rhinocéros.
En un mot, Cadence possède tous les ingrédients et bien plus encore pour s'imposer comme l'un des romans phares de la rentrée littéraire !