Un coup de coeur de Mollat
Alors qu'au Danemark Dan Turèll est un écrivain qui bénéficie d'une grande notoriété, peu de lecteurs français connaissent ce poète et romancier underground qui a notamment publié, avant sa disparition prématurée en 1993, une série de treize romans policiers mettant en scène un double littéraire aussi célèbre à Copenhague que son créateur. Comme lui, son personnage est un journaliste free-lance anonyme qui vivote seul depuis sa rupture avec Helle, consommant force cigarettes plus ou moins licites, avalant quantité de verres de whiskey et de livres dans un appartement crasseux d'un quartier mal famé de la capitale où résonnent en fond sonore de vieux bons morceaux de rock et de jazz : on est dans un roman noir ou pas, tradition oblige !
Réveillé en pleine nuit par l'appel au secours d'un homme qu'il ne connaît pas, il est prié de se rendre dans un bâtiment voisin, Saxogade B. Déconcerté, il apprend le lendemain matin qu'un retraité solitaire et discret de 67 ans y a été retrouvé assassiné : notre narrateur livre sans tarder son témoignage à l'inspecteur Ehlers qu'il va accompagner dans son enquête. D'autant plus que trois autres habitants de ce même immeuble et d'un hôtel mitoyen, dont certains parmi ses nouveaux amis, le pianiste de jazz Ole et la troublante Hanne, ne vont pas tarder à être retrouvés eux-mêmes liquidés les uns après les autres… Quel lien avec l'ignoble « Requin » qui mènerait la danse dans cette plaque tournante de la drogue et d'alcool de contrebande aux mains de la mafia locale ? A l'instar d'un de ses maîtres à jazzer Sydney Bechett pour lequel « à tout prendre, c'était une sale histoire, mais il la racontait de si belle façon », Dan Turèll réussit à nous embarquer dans les errances et la quête de cet antihéros si attachant avec une bonne dose d'humour noir qui nous ferait oublier l'ambiance des contes d'Andersen, référence danoise incontournable s'il en est. Dans ce polar métaphysique où tout n'est que chaos mais où rien ne semble totalement perdu (puisque de toute façon il n'y a plus rien à perdre !), le journaliste peut notamment compter sur l'aide d'un formidable personnage issu de son enfance : non seulement l'excentrique libraire d'occasion Bille lui a transmis le goût de la lecture et des éditions rares, mais il lui rappelle dans un clin d'œil que « tout est dans Sherlock Holmes » avant de lui faire don précieux d'un pistolet et surtout lui apprendre à s'en servir, ce qui pourrait bien précipiter l'action vers un dénouement inattendu et nous inciter à dévorer fissa les deux autres romans de la série sortis en format poche également chez l'Aube, Minuit à Copenhague et Meurtres à l'heure de pointe, puis à attendre impatiemment les dix autres fabuleuses traductions à venir !