S'il y a bien une figure absente dans l'univers du polar, c'est celle du citoyen. Ce monde qui baigne dans le crime et l'amoralité trouve très rarement des vertus à cette thématique et cette figure peu engageante, car quoi de plus tranquille qu'un citoyen, n'est-ce pas ?

Jess Walter n'en a donc que plus de mérite à avoir accompli ce tour de force de nous tenir en haleine avec son Vince, personnage changeant qui va découvrir les terribles vertus de la citoyenneté.

Etant passé du crime au donut si cher aux Simpsons, il a changé radicalement de vie, bénéficiant du fameux WITSEC, programme fédéral de protection des témoins qui lui a permis de changer de nom. A New-York, au cours de son ancienne vie, il a collaboré avec la justice américaine afin de démanteler le gang dont il faisait partie. C'est d'autant plus méritoire de sa part qu'il a quitté le royaume de l'arnaque et l'argent facile (vite et mal acquis) et que la vie à Spokane, état de Washington, n'est pas très exaltante. Il a tout de même gardé quelques habitudes de sa vie antérieure : il joue régulièrement au poker (et gagne systématiquement, sans sourciller) et a remonté un petit réseau de vol de cartes bleues, afin d'arrondir ses fins de mois, pas de quoi fouetter un chat, en somme, et de quoi garder la main… Mais on n'échappe pas à un passé qui va se manifester sous l'allure carrément inquiétante d'un tueur froid à l'accent de Philadelphie venu lui faire payer des dettes contractées naguère dans l'Est du pays… Comment renaître et recommencer, se refaire une virginité et profiter de la blancheur d'un casier quand tous les fils n'ont pas été coupés et que soudain ils apparaissent sous vos pas ? C'est ce thème, il est vrai plutôt classique, que Walter revisite en y apportant sa touche car il double son histoire d'une très amusante satire, qui décape bien fort, de la société américaine au tout début des années 80, à l'aube du grand virage libéral. En pleines élections opposant Reagan à Carter, notre « nouvel homme » se découvre une passion pour la politique qui prend souvent dans ce pays-là des airs de compétition. Parmi toutes les questions que se pose Vince, l'une devient le centre de ses réflexions (réflexions encouragées il faut le dire par une magnifique jeune femme, militante républicaine) : pour qui voter ? Car le fameux WITSEC redonne aussi une nouvelle carte d'électeur…

Jess Walter nous livre une farce noire et féroce, parsemée de passages totalement hilarants. On aura donc grand plaisir à suivre ce citoyen au-dessus (et au-dessous) de tout soupçon dans sa quête frénétique de citoyenneté : le sujet est tellement exceptionnel dans la littérature policière qu'on ne mégottera pas sur ce donut croustillant et acide qui vous permettra de vous lécher les doigts sans vergogne…

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