Un coup de coeur de Mollat
Antoine Chainas n'en est pas à son coup d'essai : ce septième roman au titre d'un monosyllabe tranchant annonce le propos cinglant d'un livre qui s'ouvre sur un incipit particulièrement réussi. D'abord captivé par le plan rapproché sur un visage féminin d'une grande pureté, le regard du lecteur glisse quelques lignes plus loin vers la réalité brutale d'un accident de la route qui vient nous projeter en plein chaos. Au-delà de cette esthétique millimétrée et spectaculaire, nous voilà dès lors pris au cœur du dispositif que l'auteur nous tend et prenons connaissance de l'envers du décor à travers les yeux et le choc du mari, Patrick qui se réveille aux côtés de Sophia, sa femme grièvement blessée. L'illusion dissipée, nous allons découvrir une vérité bien plus obscure car, aux dires du rescapé, l'accusation d'agression par deux jeunes maghrébins ne correspond pas avec les faits relevés par la police sur les lieux. Or, cette autoroute fait depuis quelque temps l'objet d'une surveillance particulière depuis que des conducteurs d'origine africaine sont les cibles d'un mystérieux sniper. Près de là se dresse la résidence des Hauts-Lacs, « enclosure » ultra-sécurisée de riches propriétaires triés sur le volet dans laquelle habitaient les victimes de la collision. Or, c'est la première fois qu'un de ses habitants est visé et la société semble prendre conscience du climat de tensions, à quelques mois de l'élection municipale. Le capitaine Durantal, secondé par son lieutenant la jolie métisse et ambitieuse Alice Camilieri, mène l'enquête alors que Patrick, hanté par le désir de vengeance, est approché par un groupuscule aux mains tatouées d'un mystérieux « 68 »…
Influencé par les lectures de Bukowski, Jean-Patrick Manchette, Bruce Bégout ou Mike Davis (le premier à la fin des années 1970 à avoir réfléchi à la privatisation rampante de l'espace urbain aux États-Unis), J.C Ballard pour la légère anticipation insufflée à sa narration, ou au cinéma (de Cronenberg à Lynch en passant par Michael Haneke), Antoine Chainas nous invite à regarder en face la lente métamorphose de nos modes de vie et de notre société déshumanisée à travers ses individus épris de rêves insensés de pureté.
Roman noir de politique-fiction effrayant de réalisme dont les flics sont aussi complexes que les suspects et qui nous fait penser au meilleur de Doa, Jérôme Leroy, Jean-Hugues Oppel ou Dominique Manotti, Pur est un bijou glaçant au style quasi clinique, un rêve devenu cauchemar ou un cauchemar prochain devenu un rêve de lecture aussi palpitante qu'inquiétante.