Un coup de coeur de Mollat
Pas question ici d'évoquer la terrible angoisse qui me saisit chaque fois au moment de franchir l'entrée d'une banque dans laquelle je sais que je ne trouverai aucun livre (même de compte puisque désormais l'informatique a balayé ces traces du passé) mais cette anxiété m'a sans aucun doute poussé à jeter un oeil sur ce livre intitulé Panique à la banque. D'autant que Stephen Leacock qui en est l'auteur est un nouvelliste et qu'en ces temps d'agitation la nouvelle est le genre idéal (sinon le gendre idéal des mariages entre livres et libraires...).
Eh bien, je n'ai pas été déçue, assez vite secouée de rires à la lecture de ces morceaux hilarants où l'humour noir côtoie le nonsense le plus britannique, où le délire sur un monde moderne déjà aliénant peut succéder à une réflexion absurde sur telle ou telle condition, parodies débridées (ah! La romance en une seule scène, une petite merveille de drôlerie) ou attaques délibérées qui marquent l'étendue des registres pratiqués. Leacok est pourtant un homme du XIX° siècle : il est né en 1869 et mort en 1944, il a vu débarquer dans son Canada natal une forme aberrante de modernité, heurtant son sens de l'humour très anglais. Sa réponse se fait en rafale, s'en prenant à la morgue des banquiers, aux assureurs, aux médecins, au journalistes, aux écrivains (il ne s'épargne pas), maniant comme son compère Robert Benchley, autre génie du rire mais américain celui-là, les fausses statistiques et les listes les plus déroutantes, bref s'attaquant à tout ce qui peut prêter le flanc à la raillerie. Et les quarante nouvelles, si elles ne sont pas toutes aussi désopilantes, s'enchaînent avec un bonheur revigorant. On a du mal à réaliser que ces textes auront bientôt cent ans (première édition en 1910), preuve que s'il y a une chose qui vieillit bien c'est certainement le rire. Et, je l'avoue, cette visite à la banque qui ouvre le recueil (où comment un timide en arrive à ouvrir et fermer dans le même mouvement un compte) me permettra d'affronter avec plus de sérénité cette toujours délicate épreuve.