Un coup de coeur de Mollat
La sollicitude traduit le ou les soins attentifs prodigués à une personne : inquiétude, soucis des autres, attention, soin avec lequel on s'applique. Témoigner de la sollicitude, c'est se préoccuper de quelqu'un. S'occuper de celles et ceux qui en ont besoin à un moment donné, dans un contexte particulier.
Se comporter avec sollicitude c'est exercer une activité à la limite de l'activité. La sollicitude s'exerce mais elle n'est pas une pratique comme les autres. Elle est réactive face à un autre singulier, face à la détresse, au besoin. Elle répond en réparant, en aidant ou en protégeant car elle s'exerce toujours en répondant à la dépendance, dépendance liée aux situations extrêmes de la vie, la vieillesse, la maladie, la dépression, la pauvreté, et aussi au début de la vie, quand la vie a besoin de se développer.
La sollicitude peut prendre la forme d'une délicatesse dans le soin : c'est alors la capacité à faire les bons gestes pour maintenir un corps qui entre dans la vie, pour l'aider à se développer. Plus généralement, la sollicitude peut-être comprise comme un talent à prendre en charge une vie dépendante, un corps fragile ou diminué ; la sollicitude exprime une intelligence sensible au service de la conduite d'un autre dans le besoin.
Fabienne Brugère utilise la parabole du bon samaritain pour décrire deux attitudes : l'absence et la présence de sollicitude dans le comportement humain. La parabole vaut comme une leçon de comportement à l'égard de quiconque puisqu'elle se termine par une recommandation du Christ qui vaut pour toute vie : "Va et agit de cette façon", c'est à dire comme le samaritain qui s'est ému de l'homme blessé et a répondu à la blessure.
L'intitulé de son essai ne manque pas de nous interpeller : "Le sexe de la sollicitude". La sollicitude aurait-elle un sexe ? Est-elle assignée à un genre déterminé? Il existe dans l'imaginaire social une figure paradigmatique de la sollicitude : c'est la mère. La sollicitude maternelle manifeste à la fois le soin et le souci porté par la mère à l'égard de ces enfants. Culturellement la sollicitude est associée au maternage, aux femmes ou a des catégories sociales, raciales, dévalorisées et méprisées, et en ce sens la sollicitude semble le lieu de l'aliénation et de la domination. L'enjeu social de la question de la sollicitude est-il conservateur ou émancipateur ? Il est conservateur s'il conduit à une naturalisation renforcée de la sollicitude : laissons cela aux femmes ! De rien, c'est tout naturel ! Pour Fabienne Brugère on peut sauver la sollicitude, cette bienveillance sans héroïsme indispensable à la vie ordinaire à deux niveaux distincts : sur le plan éthique, la sollicitude doit être revendiquée comme une éthique féministe à condition de passer d'une sollicitude subie à une sollicitude choisie, étendue au delà des assignations de genre. Les hommes pourraient également participer à la sollicitude. Sur le plan politique, la sollicitude doit coexister avec la justice. La justice repose sur des principes universels, abstraits, impartiaux. La sollicitude lui donnerait alors une chair sensible, une attention à la vulnérabilité concrète. La question de la sollicitude s'oppose en cela au mythe de l'individu libéral autonome et performant, en remettant au premier plan la référence au sujet relationnel.