Un coup de coeur de Mollat
Le chemin des âmes se compose de deux récits se déroulant à la fois en Europe et au Canada (patrie de l'auteur), pendant la première guerre mondiale.
Le premier concerne Elijah et Xavier, frères d'adoption et meilleurs amis, d'origine indienne. Ils ont partagé "l'enrôlement" dans l'école des wemistikoshiw (les blancs, les canadiens), la découverte commune de cette culture imposée, d'une langue, mais aussi leur apprentissage avec "Tante" des coutumes et art de vivre des Indiens.
Si Elijah n'a pas de problème avec la langue anglaise, s'il parle avec aisance, à tous, plaisantant, partageant des anecdotes et même se vantant un peu, Xavier reste taciturne et renfermé. Il n'accepte pas ces mots au son nasillard et semble particulièrement attaché à ses racines. Pour compenser la tristesse apparente de Xavier, Elijah parle pour les deux.
Devenus de jeunes hommes, c'est l'armée qui les enjôle pour être envoyés sur le front en France, au fond des tranchées. Leur talent aux armes à feu fait d'eux des tireurs d'élite. Guerre des nerfs à l'issue terrible : des heures cachés dans la boue au milieu des restes et des odeurs des morts, guettant l'instant propice où un soldat allemand (un gradé de préférence) montrera le bout de son crâne hors de la tranchée. Guerre de l'immobilité : le moindre geste peut trahir leur présence et les conduire à la mort. Guerre, enfin, de réussite : entre les tireurs embusqués de chaque côté et entre tireurs d'un même camp les comptent se tiennent, la compétition rôde. Comment ne pas devenir à moitié fou ? Comment tenir ?
Le second récit nous emmène sur les traces de "Tante", Niska, la dépositaire de l'héritage culturel et des connaissances de son peuple. C'est elle qui porte à bout de bras celui des deux frères qui revient de la guerre entre la vie et la mort. C'est aussi une femme de pouvoir, de celles qui communiquent avec les esprits, auprès de qui les indiens viennent chercher aide et conseil et qui est capable d'effrayer le plus aguerri des trappeus. Niska invite le lecteur dans ses souvenirs et sa lutte farouche pour la survie de ses coutumes.
Joseph Boyden nous fait partager de façon unique la souffrance (car on souffre avec eux !) de ses personnages si attachants. Habilement, irrésistiblement il nous attire dans son récit, ne nous lâchant plus et nous laissant endoloris mais comme sous l'emprise d'un charme: son livre nous poursuit, laisse sa trace dans notre mémoire comme un grand moment de littérature et un très beau plaidoyer pour la nation indienne.