Un coup de coeur de Mollat
Malgré son nom qui sonne très français, P.Mercier est helvète de langue allemande : il a connu un très beau succès avec ce gros livre qui a des chances d'être un des romans les plus marquants de cette rentrée.
Gregorius, son héros (voire son anti-héros) a toutes les allures d'un « fruit-sec », il semble ne vivre que pour l'étude des langues anciennes qu'il maîtrise à la perfection, et vit isolé. L'histoire débute un matin pluvieux quand sur un pont il rencontre une femme portugaise désespérée qu'il ramène dans son lycée : la rencontre avec sa langue qu'il ignore mais qui le fascine instantanément va bouleverser son existence, d'autant que cette découverte se double d'une étrange apparition, un auteur inconnu, Amadeu de Prado, qu'un libraire lui offre. Ces deux épiphanies sont le signal de la métamorphose : happé par le mystère, il renonce brutalement à son existence et embarque par le premier train de nuit pour Lisbonne, décidé à apprendre le portugais et à enquêter sur ce Prado mystérieux, médecin génial, résistant, maître penseur sans disciple qui a laissé des traces indélébiles dans la mémoire de ceux qui l'ont croisé. En reconstituant peu à peu la figure en fragments de cet homme exceptionnel, Gregorius va aussi, in extremis, tenter de se réconcilier avec son propre parcours. La puissance de ce livre, sa construction (le livre d'Amadeu est inclus dans le roman) et ses résonances s'imposent immédiatement au lecteur qui doit prendre tôt le parti de le lire lentement pour en extraire la moelle. On le conseillera donc avec enthousiasme à tous ceux qui croient encore aux vertus de la littérature pour enrichir la vie.