Un coup de coeur de Jérémy Gadras
Aujourd'hui, poursuivant ce vœu tant attendu d'honorer le 100ème anniversaire de la naissance de Dada, s'ouvre à Zurich (laboratoire artistique au début du XXe siècle où vit le jour en février 1916 ce rejeton de l'art baptisé Dada), une rétrospective consacrée à Francis Picabia au Zürich Kunsthaus, autre éminent penseur, poète et artiste du dadaïsme international qui se plaisait à affirmer « il faut être beaucoup de choses », en se décrivant lui-même « artiste en tous genres ». Picabia, à l'instar de ses amis Duchamp et Tzara, fut le chantre d'une nouvelle façon de concevoir la poésie et l'art comme indubitablement liés, œuvrant dans l'absurdité d'un jeu indiscipliné qu'il nomme ART, sous l'égide DADA.
Inclassable, iconoclaste, farouchement ironique, cynique et scénique, nous retrouvons dans ce catalogue tout le génie humoristique et provocateur de Picabia, à travers les œuvres exposées mais également par les nombreux textes cités : de ses premières productions impressionnistes, pointillistes, « fauves » et cubistes jusqu'à ses dernières œuvres que l'on nommera plus « classiques » - quitte à faire rougir les génuflecteurs du maître français moderne ou d'un « picabisme » avant-gardiste - en passant par sa prolifique et insaisissable période Dadaïste durant laquelle se mêlent poésies, peintures, collages, dessins automatiques, déplacement du sens de l'art, de l'objet et de la représentation, jeux de mots et jeux d'images, créations et illustrations de périodiques proto-dadas (291), dadas (391, Dada, Littérature, Cannibale), d'écrits, romans et poésies divers dans un nombre de styles plus que variables.
De quoi désorienter notre désir de l'enfermer derrière les murs d'une seule école, ou l'assimiler à une seule catégorie artistique tant il s'est affairé à brouiller les pistes de la classification, à faire choir les frontières cloisonnant les arts !
Riche d'un cahier iconographique rare d'œuvres protéiformes et d'un discours des plus appropriés sur cette figure mythique et quelque peu mystique, ce catalogue ne se limite pas aux seules œuvres exposées, ni même à l'unique personnalité complexe de Picabia, mais se permet de volontaires et salutaires digressions sur l'effervescence culturelle d'une époque fantasmée et tant aimée, où l'art n'eut de limite que celle imposée par l'esprit foutraque de ses concepteurs. En somme, un témoignage indispensable sur Francis Picabia marié à une énième mais non moins pertinente source d'érudition sur les premières décennies du XXe siècle.
Outre ce catalogue, nous vous invitons à replonger dans les créations et l'univers immersif de Francis Picabia, à travers d'autres ouvrages aussi fondamentaux que précieux pour saisir au plus près l'art et l'esprit de l'un des fondateurs de l'avant-garde.
Exposition au Zürich Kunsthaus du 3 juin au 25 septembre 2016