L'autobiographie. Avez-vous un rayon autobiographie ? Cette demande surgit parfois dans la vie d'un libraire, il faut savoir que l'intérêt pour le genre n'est pas, le plus souvent, d'ordre littéraire. Tout le monde (hélas ?) a le droit d'écrire sa vie et, fort heureusement, il demeure des auteurs qui s'interrogent formellement sur la pratique de cet exercice banalisé à outrance.
L'exemplaire Michel
Leiris
Cette année encore quelques auteurs
se sont distingués en offrant audacieusement une lecture de leur vie à autrui.
Nous pourrions placer ces écrivains sous le patronage de Michel Leiris pour la
raison que l'on vient de lui ouvrir les portes de la Pléiade avec La règle
du jeu, quatre livres réunis pour la première fois (Biffures, Fourbis,
Fibrilles et Frêle bruit) qui représentent le grand oeuvre de l'écrivain. Cette
entreprise échelonnée sur une trentaine d'année révéla un homme, certes fort
connu et connaissant bien du monde, mais habité par un souci de vérité et
d'exactitude exemplaire.Cette composition sinueuse, digressive et complexe
renouvela pour longtemps cet art si difficile de bien parler de soi.
L'irrésistible Raymond
Federman
Raymond Federman dont on avait déjà
reconnu la formidable énergie délivrée dans La fourrure de ma tante
Rachel est à nouveau, avec Quitte ou double, l'irrésistible chroniqueur de sa vie
qu'il a maintes fois racontée, réinventée, poétisée et qui aboutit aujourd'hui à
une fiction où se mêle le faux et le vrai, les rires et les larmes, le doux et
l'amer, tout cela servi avec réjouissance. La verve de Ferderman qu'une destinée
hors norme a poussé vers les chemins de l'avant garde, il fut le premier
commentateur de Beckett aux Etats-Unis et Charlie Parker lui emprunta son
saxophone, est une bouffée salvatrice pour la littérature, un précieux antidote
aux témoignages misérabilistes de notre temps. L'homme, à quatre vingt ans
passés, reste une découverte majeure pour la littérature dont il est encore
temps de profiter.
L'errant Jean-Christophe
Bailly
Intimiste et tenu par une pudeur
sentimentale et intellectuelle, Jean-Christophe Bailly s'est plié à la demande
de Colette Fellous comme l'ont fait J.M.G.Le Clézio, Claude Pontalis et Pierre
Alechinsky avec des réussites diverses. Il s'est montré à l'image du titre donné
à son livre, Tuiles détachées prônant alors des souvenirs errants dans l'espace et le temps, à
la recherche d'une émotion perdue et d'une évolution soudaine logées dans les
méandres de sa mémoire. Ainsi, l'Asie devint, au fil du livre, un indéniable
aveu de fascination et d'influence pour cet homme doté d'une culture que l'on
sent raisonnée et puissante.
Le tourbillonnant Alain Satgé
Homme de culture également, Alain
Satgé n'avait rien écrit de littéraire jusque là. Son livre intitulé Tu
n'écriras point, longtemps refoulé semble t-il,
paraît de prime abord, volubile et généreux, tel un fleuve libéré s'élançant
vers des chutes Niagaresques. Mais ce romancier débutant et tourbillonnant s'est
néanmoins apaisé au fil de son récit et l'impétuosité de ses mémoires s'est
ordonnée au fil des cartes postales de son village audois qui ornent l'entame de
chacun de ses chapitres. Elles finiront, ces cartes, par déterminer la destinée
d'Alain Satgé et de son livre où Marcel Proust se taille une place prépondérante
comme s'il était devenu peu à peu un frère d'arme de l'auteur ou un frère de
coeur à qui l'amour aurait joué des tours.
Mais faut-il avoir beaucoup vécu pour s'adonner à cette prétention autobiographique ? Non ! ont répondu certains. Et ils en ont détourné le sens et l'on redéfini. Dorénavant, nous aurions droit à de l'autofiction. Mais, outre les descendants de Serge Doubrovsky, l'initiateur du genre, on rencontre des jeunes gens très habiles pour parler d'eux même.
Grégoire Bouillier, le
cavaleur, et la malicieuse Valérie Mréjen
De cette
génération Grégoire Bouillier s'impose avec Rapport sur moi
. Porté par un style souvent
éblouissant, il circonscrit sa vie en cent soixante (petites) pages, une cavale
en quelque sorte, une fuite en avant mais dont on reconnaît un évident talent.
Valérie Mréjen pourrait bien être la fiancée littéraire du jeune homme précité, son dernier (petit) livre finement nommé Eau sauvage poursuit son travail décapant d'analyste familiale avec l'idée, cette fois malicieuse, de consigner les paroles de son père et d'en constituer une forme de florilège où l'humour grince bien souvent.
Christophe Nicolas
l'enquêteur
Parallèlement
Christophe Nicolas, en écrivant Nom, prénom préconise une double
lecture où la première partie nommée document donnerait le ton du récit
fortement ébranlée par la deuxième partie nommée fiction . Quelle part donner à la vérité ? Ce jeune auteur a trouvé une
signification nouvelle à l'autobiographie, il en aura pensé ses limites et sa
part d'inconnu. Son père fut l'instigateur de ce livre et à partir du peu qu'il
en savait, Christophe Nicolas a d'une part mené une enquête (imaginaire ?) et
d'autre part inventé une situation (réelle ?) qui constituerait in fine une
approche à peu près valable des souvenirs de quand il avait huit ans (ou neuf).
Et la théorie dans tout ça ?
L'oubli étant le reproche le plus fréquent lorsqu'on
s'adonne à un sujet (y compris celui de la mémoire),nous allons nous acquitter
définitivement de la critique en proposant toutes nos excuses à ceux qui aurait
cru que nous citerions de façon exhaustive les auteurs qui s'adonnent ou ont pu
s'adonner au penchant autobiographique. Nous simplifierons la question en
conseillant les ouvrages de Philippe Lejeune qui se consacre depuis des années à
l'étude de l'autobiographie. Son dernier livre Un journal à soi le
présente comme le spécialiste de l'autobiographie en France et en Europe. Le
pacte autobiographique, Cher cahier..., Le moi des
demoiselles, Cher écran..., Les brouillons de soi sont autant de titres
suffisament évocateurs pour inciter ou ne pas inciter à écrire sa vie. Cet
universitaire a néanmoins une parfaite connaissance du sujet et de ce fait se
trouve être incontournable.
François Boyer