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Maxime Rodinson

Publié le 24/06/2004
Un savant sans frontières

C'est en éclaireur de l'Orient que Maxime Rodinson a disparu récemment. Grand spécialiste de l'Orient, il a dédié sa vie à l'Islam et aux civilisations arabes. Son parcours d'intellectuel atypique en a fait un savant différent et sans frontières.

Issu d'une famille juive et communiste russo-polonaise, autodidacte, il passe le concours d'entrée à Langues O. destiné aux non-bacheliers. Devenu Docteur ès Lettres, diplomé de l'Ecole des Langues Orientales, il finit sa carrière à l'Ecole des Hautes Etudes comme directeur d'études d'un cours s'intitulant "Ethnographie historique du Proche-Orient".

Savant sans frontière par la langue : il parlait l'hébreu, le turc et le guèze (ethiopien ancien), mais aussi par sa connaissance du monde musulman acquise sur le terrain ainsi que pour son interêt pour des disciplines aussi différentes que l'histoire, l'ethnographie ou la sociologie.

Reconnu comme la première biographie critique fondée sur une grande érudition, son texte sur Mahomet (paru en 1968) fait toujours référence. Maxime Rodinson y met en relation, le texte sacré, son contexte social, politique et culturel et les événements de l'époque, permettant ainsi de "sociologiser" la vie de Mahomet sans heurter la foi musulmane.

Homme d'engagements, il est une chose sur laquelle il ne variera jamais, c'est son adhésion aux idées de Karl Marx comme penseur des sociétés et analyste des relations entre les structures économiques et politiques et les idéologies.

Dans Islam et Capitalisme, il a été alors l'un des premiers spécialistes à situer l'évolution de l'islam en termes sociaux. Pourquoi est-ce que le monde musulman a connu tel développement à telle époque et s'est figé à telle autre ?

Islam Politique et croyance est, dans la même optique, une série d'articles consacrés à plusieurs moments clés de l'histoire de l'Islam. L'auteur cherche à démontrer les rapports entre les doctrines rattachées à la prédication de Mahomet et les structures politiques et sociales du monde musulman.

Engagé au delà de son travail d'intellectuel , le conflit israëlo-palestinien le situera dans un enchevêtrement de positions, lui qui est à la fois juif français, marxiste et ouvert à la culture arabo-musulmane.

Dès 1967, à la veille de la guerre des Six jours, il adopte une distance critique vis à vis d'Israël, par un article paru dans la revue les Temps Modernes : Israël, fait colonial. Il crée en suivant, avec un autre grand orientaliste Jacques Berque, le Groupe de Recherches et d'Actions pour la Palestine.

Il continuera ensuite à travailler sur les notions que recouvrent le terme de "juif". Ses principaux textes sur le judaisme, le sionisme et les différentes judéophobies sont réunis dans Peuple juif ou problème juif ? Eclairant la trajectoire du peuple juif, il propose une réflexion qui se veut analytique à l'égard de la tendance judéocentrique.

Pendant un demi siècle, il a suivi , en parallèle, les péripéties de l'histoire du peuple arabe. En contact permanent avec les arabes, il aidera à une meilleure connaissance de cette civilisation régulièrement sous les feux de l'actualité évenementielle.

La réédition du texte Les Arabes permet une lecture du monde arabe de l'arabité à l'arabisme. Sans complaisance, ni servilité, il y décrit le passé d'une ethnie et le présent d'une idéologie d'identité ethnique diffusée par le nationalisme moderne.

Quelque soit le sujet étudié, son parcours de savant se poursuivra toujours avec le souci de gommer le plus possible le conditionnement européen de sa pensée.

Il s'intéressera à l'évolution du regard occidental sur l'Orient. Dans un livre remarquable, La Fascination de l'Islam, il articule avec clarté les reproches que l'on peut faire à certains "orientalistes". Il conclue d'ailleurs qu'il n'y a ni Orient, ni Orientalisme et que trop d'Orientalistes sont prisonniers de leurs champs d'études.

Citons enfin un livre d'entretiens avec Gérard Khoury pour mieux découvrir l'homme : Entre Islam et Occident où l'on est encore séduit par son érudition, sa sensibilité, sa grande ouverture à "l'autre".

"Maxime Rodinson est mort, pas son oeuvre. Celle-ci si riche et si ouverte reste à la fois actuelle et permanente. Elle demeure partie prenante dans le mouvement progressiste du monde arabe." (Mohammed Harbi)

 

Texte écrit d'après des entretiens de : Mohammed Harbi, Pierre Lory, Jean-Pierre Digard et Claude Roy.