Un coup de coeur de Anaïs
« À cinq ans et demi, j’ai passé un contrat avec mon père. Premier compromis d’une longue et fructueuse série, j’ai accepté de ne plus sucer mon pouce en échange d’un aller-retour à la capitale. Pourtant, c’est ma mère qui m’a emmenée - dans mon souvenir en tout cas il n’y a qu’elle et moi au moment où elle s’est arrêtée net devant une façade, dans le quartier Notre-Dame, et m’a fait déchiffrer l’enseigne de Shakespeare and Company. C’était l’année où nous portions chacune un manteau en faux léopard (…) »
Alors forcément, je continue, parce que moi aussi je suis de province, parce que moi aussi me rendre pour la première fois à Paris et chercher et trouver Shakespeare and Company (épelé shakeuspireu dans la tête pour se souvenir de l’orthographe) ça veut dire quelque chose, parce que moi aussi j’ai lu comme une enragée, et qu’à un moment de ma vie mes lectures et les auteurs que j’aimais et découvrais en dilettante étaient ce qui me définissait, m’encrait au réel, c’était mon judas sur l’avenir, et se rendre à Shakespeare and Company, ça terminait l’enfance.
J’ai continué, et défend aujourd’hui ce livre avec toute la force de mon narcissisme, parce qu’enfin une jeune femme qui me ressemble, qui ressemble à mes ami-e-s, qui n’est pas devenue un pur produit éditorial, mais une apache, une forcenée, une sauvage, raconte son rapport viscéral et intime à la lecture, et surtout, à l’écriture.
« Je vis la même journée depuis vingt cinq ans et j’en ai déjà trente. »
Julia Kerninon écrit comme certains fabriquent de la musique, font des photos, pratiquent un sport : c’est en elle, c’est son domaine, qu’elle exporte à Budapest où elle ne quittera pas son appartement, qu’elle remplit de ses expériences (la jeune Caroline de Buvard est-elle née quand Julia servait des rafraîchissements dans un petit bar de la côte Atlantique ?).
Si vous avez aimé les livres de Julia Kerninon, empressez-vous de lire celui-ci. Les autres, dépêchez-vous d’acheter Buvard : vous découvrirez une auteure dont vous allez avoir envie de continuer d’entendre parler.