Un coup de coeur de Frédéric Peduzzi
Trois des caractéristiques majeures des voitures de Groupe B étaient un poids plume, une puissance moteur époustouflante et une assez grande liberté en terme de réglementation technique. L'Audi Quattro Sport E2, de 1986, par exemple, développait près de 600 chevaux pour un poids de 1090 kg. Pour qu'un constructeur puisse engager une voiture en championnat du monde des rallyes, il lui suffisait d'en produire 200 exemplaires. Ce qui est très peu.
Un an jour pour jour avant le décès de Toivonen et Cresto, c'est un autre pilote Lancia qui trouve la mort au volant de sa voiture pendant l'épreuve corse. Attilio Bettega perdit le contrôle de sa Lancia Rally 037, sans doute à cause d'un manque d'adhérence, conséquence de pneus insuffisamment montés en température. La Lancia Rally 037 était une voiture de rallye exceptionnelle. Imaginée et conçue spécialement pour le rallye et non pas simplement dérivée de la série et transformée en voiture de compétition. C'était là une des grandes caractéristiques de cette réglementation. Etant donné que la production de seulement 200 exemplaires suffisait à homologuer un modèle, les constructeurs et leurs ingénieurs ont eu le loisir de concevoir des voitures très spéciales, imaginées pour la compétition, avec une grande liberté en terme de possibilités technologiques.
La Lancia Rally 037 était un exemple de ce que des ingénieurs dont on avait lâché la bride ont pu concevoir. Une voiture très légère, très maniable mais également très fragile, eu égard aux matériaux très fins et très légers qui composaient sa carrosserie. C'est ce qui fut fatal à Attilio Bettega.
Si Lancia avait choisi d'équiper ses voitures de deux roues motrices, ce ne fut pas le cas d'Audi. En effet, lorsque le constructeur allemand décida de s'engager en championnat du monde des rallyes en 1981, il choisit de le faire avec une berline issue d'un modèle de grande production, le coupé Quattro, équipé, comme son nom l'indique de quatre roues motrices permanentes. Ce fut une véritable révolution à l'époque. Pour la première fois, un constructeur engageait en championnat du monde des rallyes une voiture avec une transmission intégrale. A l'époque, en 1981, le "Groupe 4", prédécesseur du Groupe B était encore en vigueur. Le groupe 4 était beaucoup plus stricte en matière de réglementation technologique. A commencer par les modèles que les constructeurs engageaient en compétition et qui devaient être des modèles issus des productions de série. L'Audi Quattro a dominé le championnat pendant trois saisons, jusqu'à l'arrivée fin 1984 d'une concurrente de taille, également équipée de quatre roues motrices mais d'un encombrement moindre (donc d'une plus grande maniabilité) et d'une très grande fiabilité : la Peugeot 205 turbo 16.
Cette surenchère de technologie, de puissance et de légèreté entraîna les constructeurs à engager en championnat du monde des bolides parfois très compliqués à maîtriser sur des routes très étroites ou très accidentés, dans des conditions d'adhérence souvent très précaires. Ce qui finit par aboutir à de trop nombreux drames. Le décès tragique du pilote finlandais Henri Toivonen et de son co-pilote Sergio Cresto en Corse conduisit la Fédération Internationale du Sport Automobile et son président Jean-Marie Balestre à prendre une décision brutale, unilatérale et irréversible le soir même du 2 mai 1986 : l'interdiction des voitures de Groupe B dès le 1er janvier 1987, laissant les constructeurs automobiles engagés en rallye avec des cartons pleins de projets qui n'aboutiront jamais et des voitures mythiques désormais juste bonnes pour être entreposées dans des musées. Certains constructeurs comme Citroën allèrent même jusqu'à détruire tous les modèles de Groupe B qu'ils avaient construits.
Tous les détails de cette époque insensée de l'histoire du rallye sont exposés de façon très claire dans le livre de Michel Morelli. De la genèse de ces voitures, à leur fin précipitée, toutes les caractéristiques techniques de chaque modèle de chaque constructeur, les évolutions apportés saison après saison, sont décrites par l'auteur avec une grande expertise. Le tout agrémenté, bien sûr de nombreuses photos d'époque.