Un coup de coeur de Monica
Morne-Galant, là où les chiens aboient pas la queue, c'est la terre d'où la narratrice tire ses racines: née en Métropole, à Créteil, métisse, elle arrive à l'âge où on veut savoir qui on est et d'où l'on vient. En remontant le fil des souvenirs de son père, Petit-Frère, et de ses deux tantes, Antoine et Lucinde, Eulalie reconstitue non seulement son histoire familiale mais aussi l'histoire de la Guadeloupe de ces derniers 50 ans, si méconnue, si mouvementée, souvent si tragique.
En donnant la parole aux trois frères, aussi différents les uns des autres que possible, la narratrice multiplie les points de vue: Antoine, libre, fière, indépendante et impulsive, femme de poigne oscillant entre une foi à toute épreuve et les anciennes croyances créoles, celle dont le regard sur les Antilles est le plus tranchant et tranché.
Lucinde, héritière de la peau claire de sa mère, "sauvée", admiratrice des békés mais sachant mener sa barque contre vents et marées. Petit-Frère, le papa, le cadet de la fraterie, le plus discret et le plus raisonné, le plus engagé aussi. Hilaire enfin, le grand-père dont l'ombre plane sur tous les souvenirs, celui qui "représentait une Guadeloupe rurale frappée de disparition."
Estelle-Sarah Bulle profite de l'histoire familiale pour parler aussi de l'emprise jamais diparue des Békés dans les îles, du "grand programme de construction" des années 1960 qui a été mis en place pour troquer les cases contre des barres en béton, les répressions sanglantes contre les indépendantistes en 1967, de la violence silencieuse de la Métropole envers ses citoyens ultramarins.
Coup de coeur sans réserve pour ce premier roman!