Un coup de coeur de Marie-Aurélie
Alors qu’elle est étudiante à la fac, Johnson suit les cours d’un professeur d’espagnol qui lui fait une cour assidue. Flattée et charmée par cet homme cultivé qui semble immédiatement vouloir l’éduquer autant intellectuellement que culinairement ou sexuellement, Lacy Johnson entame une relation avec cet homme, jamais nommé dans le récit, comme tous ceux qu’elle évoque ici.
Après deux années d’une relation particulièrement toxique, la jeune femme parvient à rompre avec difficultés au vu de la violence de son conjoint. Mais peu de temps après elle est kidnappée sur le parking de son travail et menée de force dans un appartement que son tortionnaire a spécialement préparé : pièce insonorisée et fusil d’assaut. Pendant cinq heures elle subit le viol et les agressions de son ravisseur avant qu’il ne quitte la pièce et le logement en la menaçant de mort et l’attachant solidement et entièrement nue.
Dans un incroyable sursaut d’instinct de survie et de détermination Lacy s’arrache à ses liens et se précipite dans le commissariat le plus proche.
Une enquête policière simple mais de nombreuses complexités judiciaires font que l’affaire est toujours en court, le dossier toujours ouvert.
Lacy Jonhson superpose, dans Je ne suis pas encore morte, les morceaux qui ont constitué les treize ans de sa vie entre ce jour de juillet 2000 et l’écriture de ce texte. Dépeignant sans complaisance les errances et les combats de la femme qu’elle est, avec une distance clinique d’une rigueur étonnante mais salvatrice, elle rend un texte qui bien plus qu’un témoignage questionne la violence, l’emprise et la sexualité tout en plaçant subtilement la question de l’écriture au centre du récit.
« Il y a l’histoire que j’ai, et l’histoire qu’il a, et il y a une histoire que la police conserve dans la salle des pièces à convictions de la police. Il y a l’histoire que la journaliste raconte dans le journal. Il y a l’histoire que La Femme Policier a décrite dans son rapport ; son histoire n’est pas mon histoire. Il y a l’histoire qu’il a dû raconter à sa mère quand il lui a téléphoné ; il y a l’histoire qu’elle a dû se raconter à elle-même. Il y a l’histoire qui vous restera quand vous refermerez ce livre. C’est un infini réseau d’histoires. Cette histoire me dit qui je suis. Elle me donne un sens. Et j’ai tellement besoin d’avoir un sens. »
Je ne suis pas encore morte n’est pas sans évoquer un autre remarquable travail de narration autobiographique, également publié aux éditions Sonatine, L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevitch. L’un et l’autre de ces textes sont gravés dans le corps de leurs auteures et Lacy Johnson, comme Alex Marzano-Lesnevitch ont choisi de faire de leur expérience traumatique un travail brillant de réflexion sociale, engagée et littéraire ; travail questionnant autant le rapport à la femme et à son corps que l’importance de l’écriture et du positionnement narratif dans l’activisme.