Traite de la famille comme institution et comme réalité sociologique et pose une série de questions à propos du droit concernant les familles homosexuelles, les droits spécifiques des homosexuels en la matière, l'impact du Pacs, la famille et la délinquance, l'autorité parentale, les rapports de domination au sein des familles, l'impact de l'individualisme sur la famille. ©Electre 2024

Qui aujourd'hui va témoigner ? Qui va investir le champ d'action sociale ? Dans toutes les situations, il y a une nécessité du témoignage. Il faut un témoin ! Car donné à lui-même dans le temps vide de son discours, dans l'espace silencieux de son étendue, le pauvre individu que nous sommes fait rage : mais il lui faut quelqu'un pour le constater. C'est précisément de cette impossible confirmation que naît le drame.

Témoigner contre ou pour qui ? Comment faire ? Qui témoigne pour sauver ou pour anéantir ? Que nous reste-t-il, à nous qui ne sommes plus les témoins de notre propre vie ? Comment avons-nous pu devenir une personne vide de morale, individualiste, parcourue par cette vague capitalo-libéraliste ?

Il faut un témoin à cette (je devrais dire à notre) débandade consciente ou non. Il faut un ailleurs solide pour nous assurer de notre existence. Selon Samuel Beckett, cet ailleurs introuvable, cet alibi secourable, c'est la parole. Alors parlons... Secouons l'arbre à mots, effeuillons nos carnets de poésies... Un mot puis un autre, une phrase, sans doute... Serait-ce de la télé-réalité ? Faisons un instant de la parole l'indice du politique. Nous espérons alors trouver dans cet objet rectangulaire, dans cette fenêtre ouverte sur le monde qu'est la télévision une parole secourable, un axe, une émission digne d'intérêt ! Rien, et pourtant la réalité continue de se mouvoir. Il ne nous reste plus alors qu'à lire et relire les chroniques d'Alain Rémond (à la fin de chaque Télérama). Oui, mais sa plume a fondu au soleil... Mon œil n'est plus mon œil, c'est devenu une chronique.

Reprenons, dirait Beckett. Ne nous laissons pas aller. Il faut poursuivre sans relâche. Oui mais cela fait bien longtemps que nous n'attendons plus Godot. Ah bon ! Pourquoi ?

La parole est une solidification, un produit, un objet pour le parlant, qui s'appuie un instant sur le parlé pour se sentir avoir existé. Cependant quand cet alibi s'écroule ou fait provisoirement défaut, apparaît le témoin, la chose qui témoigne et perçoit. C'est là le rôle majeur du philosophe - homo sapiens en voie de disparition. Le plus souvent, les lieux de témoignages sont des lieux d'effondrement, ou de séparation. La parole y demeure, mais s'y aiguise. Tout invite à croire que, dans ces lieux de crise, nous les philosophes (notez comme je me fais une fleur en m'incluant dans le «nous»), ne sommes privés progressivement de nos fonctions comme de nos ratages que pour cette visée. Ce n'est que progressivement, s'ajustant de mieux en mieux à la modulation et à l'articulation, que la parole gagne sur le bavardage ou la redondance, la force, la densité, l'éclat nécessaire.

Telle est l'exigence première de Res Publica. Nous écouterons donc la voix se faire, produire mot à mot le lieu sonore, le lieu de crise où toutes les figures de rhétorique, le langage parlé, l'affolement de la ponctuation et la dislocation de la structure oratoire du français, la libération par la violence de toutes les forces vocaliques et consonnantiques, aboutissent à une antirhétorique de la plénitude. C'est cela être témoin de son temps. C'est un pari sur le devenir. L'attention et le regard que nous matérialisons ici, c'est ce témoignage que nous mettons à l'œuvre partout. Il faut risquer la distance de l'ailleurs pour se rencontrer.

Sonia Bressler