Un coup de coeur de Mollat
On découvre la jeunesse de Derek Strange, jeune adolescent (1959) puis cadet de la police (1968), son passé, ses parents et la condition des Afro-américains à la fin des années 50 et 60… On connaissait Strange la cinquantaine passée (Blanc comme neige, Tout se paye et Soul Circus), certaines illusions envolées, on le retrouve ici dans la tourmente de la jeunesse.
Malgré l'humanisme des personnages, on sent l'immense clivage entre les ethnies, la lutte pour les droits civiques qui s'étiole, car paradoxalement, elle se radicalise. Le racisme le plus dur est évoqué sans fard, sans détour : il est un élément incontournable de « Chocolate City », surnom de Washington. Ici, toutes les situations sont paroxystiques, tendues, mais considérées avec une extrême lucidité : Pelecanos ne force jamais le trait, ne tombe jamais dans la démonstration…
Dans un contexte politique trouble, la guerre du Viêt-Nam fait rage et Dennis Strange, frère aîné de Derek, en revient marqué à jamais, l'esprit oscillant entre besoin de reconnaissance et trafic de majiruana. Un contexte de grande violence, entre brutalités policières et Black Panthers, où les forces de l'ordre sont elles-mêmes tiraillées par les problèmes ethniques : l'enquête par un policier blanc sur le meurtre d'un jeune noir, dans un quartier pauvre, est mal vue, c'est là qu'un jeune flic noir entre en scène. Pourtant, il est considéré par les «siens» comme un traître, vendu à l'administration des Blancs, donc uniquement voué à l'oppression…
Sens du dialogue, efficacité narrative imparable, bande-son précise et évocatrice, George Pelecanos livre un impeccable roman noir, émaillé de quelques éléments autobiographiques qui renforcent encore sa dimension d'humanité.