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Lumières sur l'isoloir 4

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Publié le 05/04/2012
La chronique de Louis Lourme : Faut-il dire : « vivement la prochaine crise mondiale » ?Retrouvez tous les dossiers relatifs aux Présidentielles 2012 dans « Aux Livres Citoyens ! »
L'« épaisseur » du monde.

Étonnant constat : le sentiment d'appartenance à un monde commun devient une réalité très sensible, et éprouvée de manière bien plus sensible aujourd'hui que dans les siècles précédents. Tout se passe comme si, à mesure que l'histoire avance, le concept de « monde » cessait d'être abstrait pour gagner en épaisseur et devenir de plus en plus concret.
En soi, le fait de se dire « citoyen du monde » n'est pas nouveau. L'idée a plus de 2000 ans et est aussi vieille que la philosophie elle-même. En se disant « citoyen du monde », certains philosophes (cyniques ou stoïciens notamment) voulaient dire qu'ils se sentaient appartenir à une réalité supérieure aux appartenances locales. Cette appartenance-là, mondiale, était pour eux d'abord intellectuelle, c'est-à-dire qu'elle ne désignait pas une appartenance politique (au sens d'une citoyenneté réelle qui s'accompagnerait d'obligations politiques). Et, par ailleurs, lorsque ces philosophes se disaient « citoyens du monde », ils parlaient en leur nom propre et pour eux seulement. Cette expression était donc à la fois individuelle et intellectuelle.
Aujourd'hui, cela a changé. Ce sentiment d'appartenance au monde n'est plus le fait de quelques sages solitaires qui parviennent à se projeter à une échelle mondiale, supérieure à leur origine particulière. Le terrain qu'il a gagné, ce sentiment le doit selon moi à deux choses.
(1) D'une part il le doit au développement technique qui permet, sinon une meilleure connaissance de l'autre, au moins un meilleur accès à l'autre. En ce sens, les images qui proviennent d'une catastrophe survenue à l'autre bout du globe valent assurément tous les traités de philosophie pour faire toucher du doigt la réalité d'une humanité commune (et les vagues de compassion planétaire en montre la puissance).
(2) D'autre part cette conscience d'appartenir à un monde commun doit aussi paradoxalement beaucoup aux crises (militaires, économiques, sanitaires, écologiques, etc.) parce qu'elles mettent en quelque sorte les habitants de la planète face à une communauté de fait, qui s'impose à tous et ne dépend plus vraiment d'un effort intellectuel. Ce sentiment devient ainsi presque un constat contraignant : nous sommes tous embarqués sur le même bateau.

Faut-il dire : « Vivement la prochaine crise mondiale » ?

Si la conscience que l'homme contemporain a du monde dans lequel il habite doit paradoxalement beaucoup aux crises rencontrées par l'humanité toute entière, il serait évidemment bien étrange de conclure de cela que les crises sont vertueuses, et de pousser le cynisme jusqu'à en souhaiter de nouvelles. Simplement pouvons-nous reconnaître que, au milieu de ces crises mondiales que nous connaissons, les idées de monde et d'humanité ne cessent de gagner en épaisseur, de devenir de plus en plus sensibles.
Que faire de ce constat ? Je crois qu'il faut d'abord se garder de sur-interpréter l'épaisseur de cette idée de « monde commun ». En effet elle ne signifie pas que nous ayons tous une même vision des problèmes, ni surtout une même vision des solutions à proposer. Et probablement est-ce d'ailleurs une bonne chose que l'idée d'un monde partagé ne signifie pas une uniformité de ce monde. Faut-il alors se réjouir de cet épaississement ? Je crois d'une part que cette réalité est une réalité de fait avec laquelle il faut composer. Il y a bien sûr (ô combien !) des replis régionaux, nationaux, identitaires, qui ne cessent de faire leur retour un peu partout, mais le fait d'être concerné par le monde (même malgré nous) n'est un simple fantasme de mondialiste qui projetterait sur le réel une conviction individuelle. Je crois enfin et surtout que cette conscience accrue du fait que nous sommes tous embarqués sur le même bateau est le principal moteur des réformes politiques structurelles à venir. D'où, sinon de ce sentiment-là, ces réformes pourraient-elles venir pour être légitimes ?


Louis Lourme

Louis Lourme est agrégé de philosophie ; il enseigne à l'université de Bordeaux III, à l'I.E.P. de Bordeaux et dans le secondaire. Ses travaux de recherche portent sur l'actualité de la notion de citoyenneté mondiale. Il est l'auteur d'ouvrages chez Pleins Feux : Le monde n'est pas une marchandise (slogan altermondialiste) et Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible (Patrick Le Lay).



La chronique régulière de Louis Lourme s'inscrit dans une démarche générale d'éclairages divers, réalisée en collaboration par des auteurs, des universitaires, des professionnels et les libraires, en vue des élections présidentielles françaises de 2012 : « Aux livres citoyens ! ».

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