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Lumières sur l'isoloir 6

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Publié le 28/04/2012
La chronique de Louis Lourme : Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Sur les motifs obscurs du choix en politiqueRetrouvez tous les dossiers relatifs aux Présidentielles 2012 dans « Aux Livres Citoyens ! »
Je crois savoir pour qui je vais voter. Peu de suspens, donc. Mais voilà qu'au moment de répondre à la question « Qui choisir ? » il m'apparait que ma réponse, pourtant claire et assurée dans mon esprit, n'a pas un fondement aussi solide que je le souhaiterais. Autrement dit : dans mon choix, il entre bien d'autres critères que les seuls critères rationnels de capacité ou de compétence du candidat ou de la candidate. Et lorsque j'observe ces autres critères attentivement, je suis surpris à la fois de leur nature et de l'importance qu'ils prennent dans ma décision.
Il est certain qu'en toute rigueur, lors d'une élection présidentielle, on ne juge pas de la compétence des candidats – comment en effet pourrai-je juger par avance de la compétence d'untel ou d'unetelle ? Nous sommes par la force des choses dans une situation étrange puisque nous nous apprêtons à élire quelqu'un sans savoir s'il sera capable de remplir la tâche que nous lui confions. En somme c'est une sorte de « pari » sur la compétence auquel nous nous livrons.
Mais, puisque nous finissons par choisir, sur quoi notre choix se fonde-t-il donc ? Si je ne peux pas choisir selon une connaissance des capacités de mon candidat, ne suis-je pas contraint de fonder ma préférence sur de simples intuitions concernant ses capacités ? Il est certain que ces intuitions comptent, mais je sens bien que c'est un critère trop subjectif, trop vague, trop incertain : cela ne semble pas à la hauteur de la tâche en jeu – on ne saurait choisir à partir de simples impressions celui ou celle qui va gouverner le pays. Il faut quelque chose de plus solide, de plus assuré.
Il n'est pas besoin de creuser très profondément dans ma conscience politique pour réaliser que ce quelque chose, ce doit être le programme. « Je choisis en fonction du programme », voilà ce qu'on affirme en public et ce qu'on se dit à soi-même pour ne pas dire qu'on va choisir en forgeant son opinion sur de vagues impressions concernant le charisme du candidat ou de la candidate. Le programme a belle allure. Cela fait plus sérieux. Bien sûr ce programme existe et il me sert effectivement à établir des préférences et des refus (par exemple, il me permet de dire que je ne saurai accorder ma voix à tel parti qui porte tel projet), mais en réalité il me semble que les motifs de délibération sont plus obscurs que ce que j'affirme parfois.
Et lorsque je creuse un peu plus, il m'apparaît même que, si je sais déjà pour qui je vais voter, je voterai par habitude au moins autant que par connaissance critique et approfondie des programmes. Je sais toutefois que je n'ai pas de raison de renier cette habitude (changer d'opinions politiques à chaque élection n'est pas en soi le signe d'un esprit plus éclairé) mais seulement : je ne peux pas me contenter de cette habitude pour fonder mon vote car j'aurai alors l'impression que mes critères ne seraient pas à la hauteur de ce qu'ils devraient être.
Comment faire pour corriger cela ? Comment soigner ce mal démocratique qui consiste à renoncer progressivement à l'usage critique de sa propre citoyenneté ? Si les motifs de délibération sont plus obscurs qu'on ne l'affirme, alors le remède à ce mal doit consister à se confronter à cette obscurité pour distinguer ce qui relève de l'impression vague, de la fascination ou de la séduction, et ce qui pourrait relever d'une délibération plus consciente et rationnelle. Autrement dit, pour essayer de lutter contre les séductions qui masquent et handicapent l'exercice critique de mon droit de vote, je crois que la question la plus pertinente à se poser n'est finalement pas « pour qui vais-je voter ? », mais plutôt « pourquoi vais-je voter pour lui ou pour elle ? ».

Louis Lourme

Louis Lourme est agrégé de philosophie ; il enseigne à l'université de Bordeaux III, à l'I.E.P. de Bordeaux et dans le secondaire. Ses travaux de recherche portent sur l'actualité de la notion de citoyenneté mondiale. Il est l'auteur d'ouvrages chez Pleins Feux : Le monde n'est pas une marchandise (slogan altermondialiste) et Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible (Patrick Le Lay).



La chronique régulière de Louis Lourme s'inscrit dans une démarche générale d'éclairages divers, réalisée en collaboration par des auteurs, des universitaires, des professionnels et les libraires, en vue des élections présidentielles françaises de 2012 : « Aux livres citoyens ! ».

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