Chargement...
Chargement...

Carlos Salem, l'invité Polar des Lettres argentines

Publié le 12/10/2011
Du 5 octobre au 17 novembre, le festival girondin annuel « Lettres du monde » met l'Argentine à l'honneur à travers de nombreuses rencontres, lectures, projections ciné, concerts. Un des invités n'est autre que la valeur montante de la littérature noire hispanophone : Carlos Salem. Petit tour d'horizon d'un univers policier aussi désopilant que poétique à l'occasion de la parution de son troisième roman, Je reste roi d'Espagne (Actes Sud).
Pour les lecteurs qui n'ont lu ni Aller simple, ni Nager sans se mouiller – tous deux disponibles dans la collection de poche Babel noir – sachez que vous pouvez aborder la lecture de Je reste roi d'Espagne sans aucun problème puisque, contrairement à nombre d'auteurs de romans noirs, Carlos Salem n'est pas fidèle à un héros récurrent. Pourtant, à ceux que cela n'aurait pas échappé, Je reste roi d'Espagne met en scène le détective José Maria Arregui qui intervenait déjà auprès de l'agent secret Juan Perez Perez dans Nager sans se mouiller. De même dans ce dernier opus, les adjoints et amis d'Arregui, Octavio Rincon et Raul Soldati, reprennent le duo principal d'Aller simple. L'auteur n'hésite donc pas à convoquer les protagonistes secondaires de ses précédentes fictions pour enrichir une écriture qui aime multiplier, à l'instar des personnages eux-mêmes, le jeu des miroirs et des faux-semblants. Carlos Salem, Argentin né à Buenos Aires mais vivant à Madrid depuis 22 ans (il y a déjà publié dix livres), ne peut décidément pas renier ses origines littéraires, l'ombre du maître Borges et ses intrigues policières et métaphysiques, son goût des mises en abyme à l'infini, les intrigues à tiroir sont bien l'empreinte de cette littérature hispano-américaine qui sait mêler la fantaisie la plus débridée à la mélancolie propre à l'atmosphère des meilleurs romans noirs : à sa lecture, on ne peut que songer au Cubain Leonardo Padura, au Brésilien Alfredo Garcia-Roza ou encore au Chilien Ramon Diaz-Eterovic. Pour preuve de cette double inspiration, sachez que Carlos Salem tient à Madrid un bar, Le Bukowski Club, hommage à l'absurdité de nos vies reflétées dans les folles aventures de ses antihéros embarqués dans des équipées aux péripéties les plus rocambolesques.

Dans Aller simple, Rincon et Soldati rencontraient sur leur route la réincarnation du célèbre chanteur Carlos Gardel, alias Charly, philosophe hippie souhaitant éliminer le « massacreur » de tangos, Julio Iglesias ; dans Nager sans se mouiller, premier polar « naturiste », le redoutable et pathétique agent double Perez Perez se retrouvait infiltré dans un camp de nudistes, début de déboires tout à fait… poilants avec l'aide de l'inspecteur Arregui. Deux ans plus tard, cet ex-flic devenu détective privé se voit confier une mission de la plus haute importance, puisqu'il s'agit de sauver l'Espagne qui vient de perdre son roi. Non pas que celui-ci ait définitivement disparu, mais Juan Carlos Ier s'est volatilisé à quelques jours de son discours officiel de Noël à la télévision en laissant un message énigmatique. Si Arregui souhaite d'abord fuir cette responsabilité de premier plan, c'est qu'il possède de bonnes raisons de détester son roi : cinq ans auparavant, alors qu'il le secourait de la mort probable entre les mains de terroristes, sa compagne Claudia se faisait sauvagement assassiner. La culpabilité et la douleur ravivées, Txema Arregui s'octroie quelques jours de vacances au Portugal où il va tomber sur celui qu'il fuyait justement, le roi « Juanito » et, avec lui, son passé. Car au-delà de situations loufoques et de portraits de fêlés plus attendrissants les uns que les autres se dessine en creux une véritable rencontre entre chaque personnage et un passé enfoui qui les hante. Sur la route qui doit ramener le roi sain et sauf en Espagne, Arregui et Juanito vont notamment faire connaissance avec un « devin rétroviseur » qui possède le don de lire et de révéler les souvenirs occultés, alors que lui-même est désespérément à la recherche de son enfance perdue. Parallèlement, le roi qui se comporte comme un enfant désobéissant auteur de blagues qui ne font rire que lui, se trouve également en quête du petit garçon qu'il fut avant que la charge du pouvoir n'anéantisse sa part de rêve, si bien qu'il se comporte tantôt comme un vieil homme de 70 ans qui regarde nostalgiquement vers ce qui n'est plus, tantôt comme un « enfant roi » qui croit vivre un film d'aventures alors qu'il est véritablement menacé de mort par le terrifiant Zuruaga et ses hommes de main. Tour à tour vieux hippies avec fausses dreadlocks, mariachis mexicains improvisant des sérénades romantiques, les personnages flirtent entre le genre noir (et ses thèmes obligés : vrais méchants, courses-poursuites trépidantes, passages à tabac, affrontement final sanglant), l'absurde dans la lignée de Lewis Carroll ou celui, inquiétant, de la Quatrième dimension… Les clins d'œil au cinéma, à la musique (tango, encore et toujours !) et au roman policier abondent : alors que dans Nager sans se mouiller, Juan bénéficiait de la protection d'un père spirituel, écrivain sicilien à la retraite et séducteur impénitent qui n'était autre que le fameux Andrea Camilleri, Je reste roi d'Espagne voit l'intervention discrète de l'auteur mexicain le plus reconnu de la littérature policière, à savoir Paco Ignacio Taibo II, surnommé « Paquito » pour les intimes…

Gageons que le mariage réussi de l'exubérance toute latine et de la « poésie brute » que permet le polar (selon les propos de l'écrivain) réussisse à imposer Carlos Salem comme un écrivain incontournable qui mérite les nombreux prix remportés en Espagne et en France pour ses deux précédents romans. Fort du soutien de ses lecteurs et de ses pairs (sans oublier celui, discret, du véritable Juan Carlos Ier), les remerciements glissés à la fin de Je reste roi d'Espagne témoignent de l'accueil chaleureux qui lui est réservé, à l'image de sa participation à de nombreuses manifestations littéraires en France ces prochains mois, notamment pour « Lettres du monde ». Pour ceux qui pensent que la célèbre collection « Actes noirs » – popularisée avec les suédois Stieg Larsson et Camilla Lackberg – ne concerne que les auteurs du froid, mettez le cap au Sud avec le réjouissant Carlos Salem !