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L'Union européenne est-elle écolo-compatible ?

Publié le 20/05/2014
Dossier de Timothée Duverger, ATER en histoire contemporaine, CEMMC, Université Bordeaux-Montaigne
À l'origine, l'environnement est absent des Traités communautaires. Peut-on en déduire que l'Europe n'a pas la « fibre écolo » ? Une telle assertion serait sans doute anachronique, l'émergence des préoccupations environnementales ne datant véritablement, malgré quelques prémisses, que des années 1970. Cependant, la question de savoir si l'Europe est génétiquement capable d'accueillir l'environnementalisme mérite qu'on s'y attarde un peu. Le « passage à l'Europe » commence avec le Traité de Paris qui institue en 1951 la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA). Annoncée par la Déclaration Schuman du 9 mai 1950, devenue journée de l'Europe, elle vise à créer un marché commun entre la France, la RFA, l'Italie et le Bénélux au service de la croissance économique, de l'emploi et de la paix. Car cette dynamique supranationale, certes fondée sur une convergence d'intérêts, est aussi hautement symbolique. Le choix du charbon et de l'acier est emblématique : les deux piliers de l'industrie de l'armement soutiennent la réconciliation franco-allemande. Alors que la France devient majoritairement urbaine, la modernisation industrielle est le principal vecteur de la stratégie de croissance.

Le triptyque industrie/croissance/emploi, constitutif de l'Europe, est antinomique de l'environnementalisme. Cependant, deux décennies plus tard, une mutation s'opère. La figure de Sicco Mansholt est déterminante pour la saisir. Socialiste hollandais et vice-président de la Commission européenne, cet ancien grand propriétaire terrien, chantre du productivisme technocratique, est l'auteur à la fin des années 1960 d'une restructuration de la Politique Agricole Commune (PAC) visant à dégager des gains de productivité par l'exode rural et l'agrandissement des exploitations. Pourtant, c'est lui qui, en février 1972, interpelle le président de la Commission, Franco-Maria Malfatti, dans une lettre où il préconise un plan économique prévoyant « une forte réduction de la consommation des biens matériels par habitant, compensée par l'extension des biens incorporels […], la prolongation de la durée de vie de tous les biens d'équipement […], la lutte contre les pollutions et l'épuisement des matières premières », le tout assorti de mesures fiscales et d'un système de certificats de production pour faire respecter une réglementation écologique. Devenu président de la Commission en mars, il explique au Nouvel Observateur avoir eu une « révélation » à la lecture du fameux rapport du Club de Rome intitulé Limits to growth (« Les limites de la croissance), issu de travaux du MIT, qui fait l'apologie du « zegisme » (de l'acronyme ZEG : « zero economic growth », la « croissance zéro) par crainte de l'épuisement des ressources et de la « bombe P » (P comme Population, du nom du best-seller de Paul R. Ehrlich de 1968, c'est-à-dire la croissance démographique).

Cette bifurcation européenne est concomitante d'une prise de conscience internationale. C'est ainsi que, suite à une conférence de l'UNESCO à Paris en 1968 sur l'Homme et la biosphère, une Conférence des Nations Unies sur l'Environnement Humain (CNUEH) est organisée à Stockholm cette même année 1972 autour du slogan « Une seule Terre ! » qui voit la naissance du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). C'est dans ce contexte qu'en 1971 la Commission européenne présente une communication « sur la politique environnementale des Communautés » offrant une vue d'ensemble des mesures nationales et internationales en la matière. Un double mouvement ascendant et descendant joue alors dans le transfert de la politique environnementale à l'échelon européen. Non seulement la CEE s'empare donc du sujet, mais cela coïncide avec la volonté des États membres pour éviter les distorsions de concurrence. Un premier Programme d'Action pour l'Environnement (PAE) est ainsi adopté en 1973 pour concilier le développement économique et la protection de l'environnement, directement inspiré de la CNUEH. Deux autres suivent jusqu'à l'inscription d'un titre VII « Environnement » dans un traité, en l'occurrence l'Acte Unique Européen (AUE) de 1986 qui élargit explicitement de cette façon les compétences de la CEE. Cette orientation est confirmée dans le Traité de Maastricht de 1992 qui fait de la politique environnementale une « politique européenne », puis dans le Traité d'Amsterdam de 1997 qui missionne la Communauté pour un « niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ». Enfin, le Traité de Lisbonne assigne en plus à l'UE un rôle leader au niveau international dans la lutte contre le changement climatique.

La politique environnementale de l'UE s'articule autour de quatre principes : précaution, prévention, correction des atteintes à l'environnement et « pollueur-payeur », et procède surtout par la création de normes et de réglementations. Ce nouvel enjeu prend toute son importance dans un XXIème siècle qui a la responsabilité de relever le défi écologique. Ainsi le 6ème PAE « Environnement 2010 : notre avenir, notre choix », pour la période 2002-2012, en prend-t-il acte qui constitue le cadre stratégique de la politique environnementale européenne en fixant quatre priorités : le changement climatique, la biodiversité, l'environnement et la santé, et les ressources naturelles et les déchets. En 2008, l'UE faire œuvre pionnière en adoptant un « paquet climat-énergie » comportant un triple objectif à l'horizon 2020 : 20% d'énergies renouvelables, hausse de 20% des économies d'énergie et réduction de 20% des émissions de CO2. Cette attention à l'environnement se traduit dans la stratégie Europe 2020 adoptée en 2010 par la recherche d'une croissance « intelligente, durable et inclusive » dans le sillage de laquelle sont publiées en 2011 une « Feuille de route pour une Europe efficace dans l'utilisation des ressources » et une « Feuille de route pour parvenir à une économie compétitive à faible intensité carbone » à l'horizon 2050. Un nouveau PAE « Bien vivre, dans les limites de notre planète » a été adopté fin 2013 pour la période 2014-2020 qui définit 9 objectifs. Il s'agit de protéger, conserver et améliorer le capital naturel de l'UE, en faire une économie efficace dans l'utilisation des ressources, verte, compétitive et à faibles émissions carbones, et de protéger ses citoyens contre les pressions et les risques pour la santé et le bien-être liés à l'environnement. Cette stratégie s'appuie sur la législation européenne, une amélioration de la base de connaissances, des investissements dans les domaines de l'environnement et du changement climatique, et l'intégration de la dimension environnementale dans les politiques. Elle s'applique à plusieurs échelles : du local (ville) au global (engagements de Rio 20), en passant par le régional.

La question environnementale, absente de l'institution à son origine, a donc fait une irruption fulgurante sur la scène européenne dans la décennie 1970, jusqu'à devenir l'un des principaux axes de la stratégie de l'UE. Au point que le célèbre essayiste prospectiviste Jeremy Rifkin a par exemple consacré un ouvrage à ce qu'il nomme « le rêve européen », soit l'espérance d'une civilisation de la qualité de vie, de l'environnement et de la paix. Sans doute l'Europe connaît-elle des dysfonctionnements, mais l'enjeu écologique lui confère la mission de répondre à l'impératif formulé par l'agronome René Dubos à l'occasion de la Conférence de Stockholm de 1972 : « Penser global, agir local ». Le principe de subsidiarité qui préside au fonctionnement européen l'atteste. Le niveau régional, intermédiaire entre le mondial et le national, est le mieux placé pour conduire la transition écologique de nos modes de vie.



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