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Mo Hayder : le "hardcore" en talons aiguilles

Publié le 05/09/2008
A l'occasion de la sortie de son cinquième opus Rituelaux éditions Presses de la Cité, les libraires du rayon polar se sont penchés sur le cas de Mo Hayder, l'enfant terrible du polar anglais, qui méritait bien quelques pages sur notre site...
Mo Hayder est née dans l'Essex en 1962. A l'adolescence, elle rompt brutalement avec sa famille trop présente, délaisse ses études et part pour Londres où elle va exercer divers petits boulots. C'est à l'âge de 25 ans et après des années d'errance dans le monde interlope londonien qu'elle décide de partir pour le Japon avec dans l'idée de devenir geisha. Elle résidera à Tokyo pendant deux ans, y exerçant des métiers aussi divers que barmaid, garde du corps, hôtesse dans un club, éducatrice et professeur d'anglais. De cette expérience japonaise, elle puisera plus tard la matière de son troisième roman Tokyo -  nous y reviendrons. Elle quitte ensuite le Japon pour les Etats-Unis. Le faible succès que rencontre son univers violent la pousse à revenir à Londres. C'est sur les conseils de sa psychanalyste qu'elle décide d'exorciser ses peurs en les couchant par écrit. Elle se documente auprès  de  policiers, de médecins légistes et c'est à partir de ses notes prises sur le terrain qu'elle se lance dans l'écriture de son premier roman Birdman qu'elle mettra deux ans à peaufiner. Les expériences traumatisantes vécues par certains de ses proches - suicides et assassinats ! - nourrissent son univers littéraire, glauque et sanglant.

Birdman & L'homme du soir
En 2000, la parution de son premier thriller, Birdman - dont l'atmosphère n'est pas sans rappeler Le silence des agneaux de Robert Harris - marque les esprits. L'intrigue : les cadavres de cinq jeunes femmes sont retrouvés dans un terrain vague de la banlieue londonienne. Toutes les victimes sont des prostituées et stripteaseuses des quartiers chauds de Londres, elles ont été atrocement mutilées. L'autopsie révèle un détail fort déroutant : leur cage thoracique, mal recousue, renferme un oiseau mort. Le tueur en série y gagne ainsi son surnom : Birdman. Jack Caffery, inspecteur, est envoyé sur le charnier. Déjà en butte à l'hostilité de ses collègues, empêtré dans une liaison sentimentale insatisfaisante, buvant parfois plus que de raison, il se jette à corps perdu dans cette enquête épineuse qui a le mérite de le tenir éloigné pour un temps de ses démons intérieurs. Dès les premières phrases, le lecteur est catapulté dans l'univers de l'auteur fait d'obsessions sexuelles, de fantasmes sanglants servis par une écriture efficace, sans concession....
 
La fascination de Mo Hayder pour le morbide trouve encore un exutoire dans L'homme du soir, digne suite de Birdman. Caffery reprend donc du service, brinquebalé dans une enquête qui touche directement son lourd passé familial puisqu'il est confronté au criminel de la pire espèce, le pédophile. Rory, âgé de neuf ans, est enlevé au domicile de ses parents que l'on retrouve ligotés après avoir été séquestrés pendant trois jours. Le cadavre du petit garçon est découvert dans un parc, victime de sévices sexuels. Les enfants du voisinage parlent d'un troll venu les épier. L'inspecteur est de nouveau hanté par le fantôme de son frère Ewan. Il s'enfonce dans un cauchemar où l'image de son frère disparu vient remplacer celle de la petite victime. Au fil de la résolution de l'enquête, Caffery va faire le deuil de son passé et de son chemin de croix et se sentir enfin en paix.

Tokyo
Mo Hayder s'essaie ensuite au polar historique puisqu'une partie de Tokyo se situe lors du massacre de Nankin en décembre 1937. Cet épisode de la guerre sino-japonaise dura environ six semaines et fit 300 000 victimes, essentiellement parmi la population civile. L'armée japonaise investit Nankin et exécuta les hommes au sabre ou à la baïonnette tandis que les femmes étaient systématiquement violées puis éventrées ! Aujourd'hui encore, cette atrocité reste méconnue, absente des manuels scolaires japonais, volontairement enfouie dans la mémoire collective du Japon moderne.
Avant d'être un excellent roman noir, Tokyo est en quelque sorte une dénonciation de cette barbarie. En parallèle au récit de cette véritable boucherie dont le narrateur est le témoin, Mo Hayder campe une jeune femme, Phénomène, dite Grey, perdue dans le Tokyo d'aujourd'hui. Grey - double littéraire de Mo Hayder ?-  a quitté Londres, fuyant une famille étouffante et un lourd passé psychiatrique. De son séjour à l'hôpital, elle en a tiré son surnom Grey : «  J'étais un grey. Maigre, pâle et un peu translucide. Il ne restait plus rien de vivant en moi. Un fantôme. ». Grey arrive à Tokyo dans l'espoir de rencontrer un survivant du massacre de Nankin, le professeur Shi Chongming, détenteur d'une hypothétique vidéo de cette période... Cet ouvrage s'est vu récompenser par le Grand Prix des lectrices de ELLE catégorie policier et le Prix SNCF du Polar Européen en 2006.

Pig Island
Adepte du changement, pour son quatrième roman l'auteure rend un hommage ouvert au roman gothique anglais en situant son intrigue dans une île écossaise où le diable a élu domicile. Sur Pig Island courent les légendes les plus folles. Des touristes auraient vu un monstre déambuler sur la plage, mi-homme, mi-bête, qui aurait même été filmé. Pourfendeur de mystifications en tous genres, le journaliste Joe Oakes, décide d'enquêter sur cette mystérieuse île. Débute alors pour Oakes une véritable descente aux Enfers...où la victime n'est pas celle que l'on croit ! Oakes se retrouve au cœur d'une sordide histoire où les cadavres d'hommes et de bêtes s'entassent, les tensions s'exacerbent et la personnalité de chacun se dévoile...

Rituel
Après Birdman et L'homme du soir, Mo Hayder nous livre la troisième enquête avec son personnage fétiche, l'inspecteur Jack Caffery. Le livre s'ouvre sur la découverte d'une main tranchée, repêchée au fond des eaux du port de Bristol. Le sergent de police Phoebe Marley - surnommée Flea "Puce", en raison de son petit gabarit - dirige l'équipe de plongée - Elle va mener l'enquête alliée à Caffery.
L'intrigue flirte avec le milieu de la drogue et des toxicomanes avant de trouver de sombres ramifications dans des superstitions africaines : le muti. Comme toujours chez Hayder, l'épaisseur psychologique de ses personnages s'imbrique étroitement à l'intrigue - bien sombre et prenante. Ainsi, aux démons intérieurs de Caffery, hanté par la disparition de son frère lorsqu'il était enfant, répondent en écho ceux de Flea, qui ne se remet pas de l'accident qui l'a privée de ses parents...

Le journal L'Express résume tout le talent de Mo Hayder dans cette formule choc : "De l'art d'éblouir avec des cauchemars" - on ne saurait mieux dire.

Bibliographie