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Octavio Paz aurait eu 100 ans

Publié le 19/08/2014
Né en 1914 et mort en 1998, le poète et essayiste Octavio Paz fut l'unique écrivain mexicain à recevoir le prix Nobel de littérature en 1990.
Dans son dernier recueil de poèmes publié en 1990, L'arbre parle, Octavio Paz évoquait en quelques vers son origine, sa proche disparition ainsi que son art poétique pétri de paradoxes et d'influences variées, incandescence de mots et de mort mêlés :

« Mixcoac fut mon village : trois syllabes nocturnes,
un voile d'ombre sur un visage solaire.
Vint Notre Dame, la Mère Tourbillon de Poussière.
Elle vint et le mangea. Moi j'allais par le monde.
Ma maison furent mes paroles, ma tombe l'air.
»

La conscience de ses racines à la fois espagnoles et amérindiennes mais aussi ses nombreux voyages dans le monde où il lit et rencontre ses pairs (Luis Cernuda, Rafael Alberti, Pablo Neruda, Cesar Vallejo en Espagne pendant la guerre civile ; Robert Frost et William Carlos Williams aux Etats-Unis ; la philosophie et les arts du Japon et de l'Inde) vont définitivement marquer sa vie et nourrir sa poésie. Sa carrière de diplomate dans le monde entier en tant qu'ambassadeur du Mexique pendant vingt ans va creuser ce syncrétisme de cultures, de philosophies et de spiritualités multiples qui l'inspirent : par exemple, Versant Est (1962) regroupe ses textes écrits en Inde, et L'Arc et la lyre révèle ce pont entre Orient et Occident tout en révélant un manifeste poétique universel. Quant à son chef d'œuvre Le labyrinthe de la solitude (1950), il tente de traduire la complexité de la nature humaine à travers l'identité mexicaine elle-même plurielle, composée d'héritages antiques tout autant que mythiques et mythologiques. Sa filiation se situe alors tant du côté des mystiques de son pays (son essai sur la fascinante religieuse mexicaine du XVIIème siècle dans Sor Juana Inés de la Cruz ou les pièges de la foi) que du du côté du surréalisme d'André Breton et Benjamin Péret qu'il rencontra en 1945 et dont il reconnut l'influence décisive dans Aigle ou soleil (1951) et Pierre de soleil (1957) (repris dans le recueil Liberté sur paroles, 1935-1957) avant de s'en affranchir quelques années après. De ses nombreux séjours en Orient dont l'empreinte se lira dans Le Singe grammairien (1972), il sera également marqué par la philosophie bouddhiste et traduira le poète japonais Bashô.

En France, il fut notamment traduit par Benjamin Péret, Roger Munier, Roger Caillois, Jacques Roubaud et Claude Esteban qui signe notamment une magnifique préface de Versant Est (Poésie/Gallimard), idéale introduction à son œuvre. C'est dire que l'héritage de sa plume flamboyante n'a pas fini de perdurer et de rayonner. La dualité commune à la « mexicanité » (Le Labyrinthe de la solitude) réunit des éléments a priori inconciliables, « sanctuaire du corps » et « arche de l'esprit » (Octavio Paz), et façonnent parmi ses poèmes les plus incandescents tel cet extrait de Versant Est dont le titre sanskrit du poème « Maithuna » qui évoque l'étreinte dans la spiritualité hindoue reflète une « pensée-carrefour » (selon le poète Claude Roy), à la source de toute (sa) création :

« Tu entres
Indemne
Dans le fleuve de mes mains […]

Langue bourgogne de soleil flagellé
Langue qui lèche ton pays aux dunes insomnieuses
Chevelure
Langue lanières de fouet
Langages
Dénoués sur tes épaules
Entrelacés

Sur tes seins
Écriture qui t'écrit
Avec des lettres stylets
Te nie
Avec des signes tisons
Vêtement qui te dévêt
Écriture qui te vêt d'énigmes
Écriture où je m'enterre
»


Visuel : © Foto: Jonn Leffmann