Nous sommes aux 400 coups depuis quelques jours, excités par un livre qui s'il porte une marque qui ne nous est pas étrangère (mais nous sommes sincères et naïfs avec ce texte que nous avons découvert lorsqu'il n'était qu'un manuscrit et qui a circulé de main en main, porté par la rumeur qui enflait, heureux de nous dire que nous le verrions naître un peu plus tard) nous a enchanté : un roman à l'ambiance très « 400 coups » d'ailleurs, tant l'ambiance du beau film de Truffaut se retrouve dans cette histoire de gamin des années cinquante. Le jeune Léonard Chapeau est le héros de ces
Théorèmes du Port de la Lune, un gamin plein de vie qui a le don de fatiguer une mère malade et d'exaspérer un père qui aime tellement l'ordre que sa vitalité juvénile lui est un affront permanent. C'est que Léonard, s'il n'a pas inventé le malheur, en éprouve malgré tout très fort l'amertume. Son enfance est transpercée par l'injustice, celle qui lui interdit d'être différent, et entre son père qui le rudoie et le frappe et sa mère incapable de le consoler, il n'a que peu de refuges : l'excentricité, les expériences dangereuses, la religion dans laquelle il baigne mais qui est un monde terrible où Dieu guette les faux pas, l'insolence comme façon de trouver les mots pour résister. Bref la vie n'est pas drôle pour ce garçon surdoué qu'on traite en garnement…et pourtant, pourtant, qu'est-ce qu'on s'amuse à le suivre dans ses aventures au cœur d'un Bordeaux mystérieux, grand port qui offre des horizons aux rêveurs et des cachettes aux mauvais garçons. Qu'est-ce qu'on s'étonne de sa résistance aux duretés d'une existence jamais apaisée ! Qu'est-ce qu'on palpite sur ses traces dans cette lente montée vers l'âge adulte, chemin de croix où Léonard plante les petits drapeaux de ses victoires sur l'adversité !
Livre drolatique et irrévérencieux, livre touchant et sensible dont on imagine bien le joli film qu'il ferait, Les théorèmes du port de la lune – et on n'en dit pas plus sur ces mystérieux théorèmes, la superbe trouvaille de Bernard Manteau dont c'est ici le premier roman) – vous fera passer quelques heures délicieuses au bord d'un fleuve tranquille agité par les vagues nostalgiques d'un trublion qu'on voudrait connaître et aimer.