Un coup de coeur de Héloïse
Seulement, Tomas, extrêmement doué pour les langues et les imitations de tous accents, va voir son destin condamné par ce qui apparaît comme une erreur de jeunesse. Polyglotte et coupable, manipulé par les services secrets britanniques, il va être engagé par ces derniers sans avoir son mot à dire. Le Tomas d'après Oxford ne sera plus jamais le même, torturé et répétant qu'il vit une vie qu'il n'a pas choisi. Berta, elle, va avoir le choix d'accepter d'ignorer totalement la nature des activités de son mari et ses longues absences, ou de partir. Comme liée à son époux par l'évidence de leur couple, elle restera. La phrase finale de l'ouvrage "ainsi en va-t-il de ces vies qui, comme la sienne et la mienne et tant d'autres, se contentent d'exister et attendre" dit beaucoup de l’inéluctabilité de ce choix (d'autant plus en espagnol avec l’ambiguïté du mot "esperar" qui signifie attendre mais aussi espérer), voire de l'absurdité des existences de Tomas et Berta.
Un beau jour, alors que sévit la guerre des Malouines, Tomas va disparaître pour une durée plus longue que de coutume, des mois qui vont devenir des années, durant lesquelles Berta et leurs deux enfants l'attendront, sans nouvelles, sans même savoir s'il est vivant ou non. Berta Isla, ce nom exotique, est à l'image du personnage éponyme, Berta telle une ile (isla) apparaît comme un refuge, un point stable dans la tempête, mais elle est également l'image même de la solitude. Comment à travers elle ne pas évoquer la figure de Pénélope attendant Ulysse durant des années sur l'île d'Ithaque ? De références littéraires, ce roman en est truffé : on pense aux romans d'espionnage bien sûr, mais Marias évoque aussi Balzac ou Shakespeare, tandis qu'un poème de TS Eliot jalonne le récit, écho au destin de Tomas Nevinson. C'est un texte plein d'érudition, qui fourmille de dialogues qui sont autant de réflexions et d'interrogations, sur le destin, l'Histoire, l'amour, la vérité ... Un texte mystérieux aussi,presque inquiétant, ce qui rend sa lecture passionnante. L'un des derniers chapitres du roman s'ouvre sur la phrase suivante "Pendant quelques temps je ne sus pas au juste si mon mari était mon mari (...)", en écho à la première phrase du livre, à la première personne cette fois-ci, à l'image de l'importance et l'indépendance prises par Berta à travers le roman.