Un coup de coeur de Anthony G.
Ces méthodes de management vous semblent familières ? Dans Libres d’obéir, Johann Chapoutot démontre, avec brio, qu’elles l’étaient tout autant aux ouvriers et aux administrés nazis. Le IIIème reich faisant ainsi office de moment matrice de la théorie et pratique managériale.
L'impérialisme nazi s'est, en effet, très tôt heurté à un impératif arithmétique : faire plus avec moins. Plus de territoires et d'hommes mais moins de personnel pour les administrer. Il a ainsi fallu inventer un nouveau rapport au travail et manager la « ressource humaine ». Dans une idéologie empreinte de darwinisme social, la guerre économique était vécue comme une lutte pour la vie dans laquelle il fallait être performant et encourager la performance. Ainsi la théorie de la « liberté germanique » s'est réalisée à travers la responsabilisation des individus et l'encouragement de l'autonomie. Ainsi aussi l'organisation de concerts dans les usines, les voyages offerts aux salariés, le loisir au travail ; en d'autres termes une apparente attention accordée au bien-être individuel. Ce qui pourrait ressembler à un paradoxe face à l'image d'un régime autoritaire et hiérarchique est en réalité une « perversité ». Car le dessein du management n'est autre que de créer une communauté productive. En ce sens, l'individu est perçu comme une simple ressource humaine, un « capital productif ». Et si une liberté lui est accordée, celle-ci se réduit au choix des moyens et non à celui des fins. Ce qui, in fine, provoque une aliénation.
En dépit des ressemblances avec notre présent, l'essai de Johann Chapoutot reste un livre d'Histoire. Reste que les parcours de Reinhard Höhn, ancien général nazi reconverti « manager en chef » de la RFA ou de Karl Kötschau, ancien médecin eugéniste radical reconverti dans l'homéopathie et le développement personnel, démontrent que, derrière l'illusion de la rupture, se trame la linéarité de l'Histoire.
« Seul le travail du zéro individuel au service de l'infini national rendait l'individu digne de vivre »