Un coup de coeur de Mollat
Le livre ouvre donc le dossier des travailleurs du nucléaire, d'une caste particulière de cette famille, celle des intérimaires. Employés par des boîtes de sous-traitance, ils sillonnent la France nucléaire, réalisent la maintenance des centrales, partagent des caravanes dans des campings endormis, trinquent avec leurs compagnons de chantier, se reconstituent une famille au fil de leurs missions… Mais lors des opérations de maintenance, ils vivent la tension de l'incident, du dérapage puisque leur particularité consiste à soumettre leurs corps à des doses de radioactivité supérieures à la normale. Parfois, la dose vire à l'overdose.
C'est le lot de ces intermittents de l'atome, attendre qu'on ausculte le mitraillage auquel ils se sont soumis, qu'on définisse leur degré de contamination, se transformer en « viande à rem ». Au cours d'une de ces missions dont personne ne veut s'acquitter, le personnage est contaminé par une pièce. Il attend, suspendu au verdict des médecins, de savoir s'il s'agit de la dose annuelle admissible par les autorités. Il craint d'être mis au rancard (au-delà de la dose, on doit laisser reposer son corps…), pense à ceux qui n'ont plus supporté, et remet en cause un engagement professionnel qui vire au lent suicide. « On peut se tenir devant la mer. On peut marcher le long de la mer, se laver de tout ça, le stress, les radiations. Non. On pourra marcher autant qu'on veut, respirer à plein poumons, ça ne se nettoie pas. On peut quand même se tenir devant la mer et décider d'en rester là, de ne plus rien encaisser. »
Au milieu de paysages idylliques (vignes du Mâconnais, fronts de mer, bords de Loire, estuaire de la Gironde, …, la France nucléaire ressemble à s'y méprendre à la France des cartes postales), Elisabeth Filhol nous convie à partager les errements de ces manœuvres désœuvrés.
Écolo-Info - Laure Noualhat