Un coup de coeur de Véronique M.
Au début de Cartel, le baron mexicain de la drogue Adán Barrera s’enfuit de prison et compte bien reprendre le contrôle de son gang de Sinaloa tout en misant deux millions de dollars sur la tête d’Art Keller, l’agent de la DEA (Drug Enforcement Administration, l’agence de lutte gouvernementale américaine contre la drogue) qui avait contribué à son arrestation.
Si Art, retiré dans un monastère où il s’occupe de l’élevage des abeilles, n’envisage pas dans un premier temps de relever le défi lancé par son ennemi, il ne tarde pas à répondre à l’appel de la vengeance. Mais celui qu’on surnomme « Killer Keller » est incontrôlable, et Barrera l’insaisissable va jouer au chat et à la souris, installant un climat de terreur qui engendre dans son sillage d’innombrables victimes : policiers et civils, dont des centaines de journalistes (auxquels est dédié le roman) lâchement assassinés.
Comme dans La griffe du chien, Don Winslow offre une plongée saisissante de réalisme dans le vaste empire capitaliste du narcotrafic sans épargner le premier acheteur mondial, les États-Unis : sur le sol américain, la cocaïne en provenance de la ville limitrophe de Ciudad Juarez représente un marché de plusieurs milliards de dollars. Ainsi, le Mexique n’est pas un « narco-état » comme on l’appelle souvent, place plutôt dévolue selon Don Winslow à l’Amérique du Nord, devenue ultra dépendante de ce commerce juteux… et meurtrier. Depuis les années 2000, ces gangs qui ont désormais de vraies « armées » ont proliféré et se sont renforcés avec la complicité des federales (policiers) et politiciens corrompus, ce qui complexifie la situation explosive qui menace désormais les pays voisins comme le Guatemala.
Malgré la violence quasi permanente qui imprègne ces 700 pages impossibles à lâcher, l’émotion affleure heureusement, notamment grâce aux personnages de femmes puissantes qui se révoltent face aux hommes qui s’entretuent, quitte à risquer leur vie, soit en devenant « narca » comme Magda, la maîtresse dans l’ombre d’Adán Barrera, soit en menant des combats personnels. Marisol, médecin dévouée et compagne d’Art, Jimena devenue chef de la police malgré son jeune âge, sans oublier la journaliste Ana et son combat avec Pablo pour la vérité, redonnent une place aux invisibles et sans-voix de ces guerres civiles permanentes, comme le fait Don Winslow dans cette fresque magistrale bientôt portée à l’écran.