Un coup de coeur de Mollat
Ce n'est plus un secret, Alain Mabanckou est en passe de devenir le grand classique de demain, la promesse de l'aube, celui par qui la littérature africaine se renouvelle et dure malgré une politique culturelle continentale des plus médiocres, mais bien heureusement celà n'a pas empêché ce jeune congolais né en 1966 à Pointe Noire d'imposer sa propre voix puisque, c'est bien connu, quand on refuse on dit non, et que la juste réponse à ce noeud de vipères semble celle qu'adopte Alain Mabanckou, poète et romancier de son état, à savoir l'imagination et le rire, deux des idées maitresses de Verre Cassé, qui vient de paraître en Points Seuil, une divine comédie des plus drôlatiques.
Verre Cassé est ce que l'on appelle communément un pilier de comptoir, un suppôt de Bacchus qui noit sa misère dans les verres de vin et qui se voit, un jour, confier la noble mission, par son ami l'Escargot Entêté, le propriétaire du bar, de relater la vie des âmes grises qui fréquentent le lieu, ce qui donne naissance à une savoureuse galerie de personnages, entre la femme qui défie les hommes en urinant plus longtemps qu'eux, l'imprimeur qui livre sa nostalgie de la France, ou encore le "type aux Pampers", bref une belle collection de grains de sable, de petits contes de la folie ordinaire, ce roman est donc un vertige d'originalité, qui présente, entre autres, la particularité d'être écrit sans point (quelle idée !), et d'être émaillé de nombreux clins d'oeil littéraires en citant des titres de romans en filigrane, ce qui amusera le lecteur, à qui on conseille vivement de se plonger dans ce spectacle langagier, ce bloc d'inventions, ce caillou de paroles tassées où transparaît la nécessité irrépressible de l'écriture, à savourer cet été à l'ombre du vent.