Un coup de coeur de Mollat
Né à Madrid au début des années 60, Kiko Herrero a été programmateur au Rock Ola, salle de concert mythique de la Movida, puis a quitté l'Espagne pour Paris, où il a travaillé dans le cinéma, puis dans l'univers du théâtre, pour ensuite ouvrir la galerie d'art contemporain EOF. Le livre qu'il publie aujourd'hui aux éditions POL est un recueil de courts textes qui évoquent l'enfance puis l'adolescence d'un garçon espagnol dans les années 70 puis 80, dans cette période si particulière de l'histoire espagnole qui correspond aux dernières années du règne de Franco puis à la transition démocratique et à la naissance de la Movida.
Dès les premières pages, le livre nous plonge à la fois dans des souvenirs d'enfance, dans le folklore madrilène, et dans un univers de poésie pure. Le texte qui ouvre le recueil est absolument d'anthologie : un convoi de forains transporte une baleine morte pour en faire l'attraction des madrilènes un jour de 15 août. Pour une pièce de cinq pesetas, chaque curieux reçoit un mouchoir imbibé d'eau de Cologne et la chance de pouvoir apercevoir le cadavre qui a déjà empuanti toute la ville. Suivent ensuite plus de soixante dix textes, souvent très courts, petites épiphanies ou au contraire souvenirs douloureux, kaléidoscope de la vie d'un garçon quittant l'enfance pour devenir adulte. Les femmes sont ici omniprésentes, la mère aimante et inquiète pour son fils, qui est capable autant de le soigner avec de l'huile d'olive en intraveineuse que de faire la tournée des bars avec lui un jour de marché, les tantes et les voisines aux "batas" bigarrées - robes de chambre que portent quotidiennement les femmes dans leur appartement-, les prostituées, les professeurs intransigeantes du lycée français où notre héros étudie - dont la fameuse Madame Sévère, qui porte on ne peut mieux son nom!-. Face à elles, notre héros apprend, grandit, sans forcément répondre aux espérances que placent en lui ses parents -troisième enfant de la fratrie, il est tout de même considéré comme l'aîné de la famille car il est le premier garçon-, bref devient adulte.
La force de ce texte tient au remarquable pouvoir d'évocation de l'auteur qui, en quelques phrases, parvient à recréer devant nous l'Espagne de l'époque et à incarner un héros. Au fil de toutes les saynètes que composent le livre, Kiko Herreo bâtit un vrai récit d'apprentissage à la saveur tout particulière. Pour une première publication, voilà bien un coup de maître.