Un coup de coeur de Mollat
L'intrigue déroule ses fils vénéneux et sensuels, telle une toile d'araignée qui mêlerait les mondes de la parfumerie, de l'art, de la mode, de la musique, de la peinture, et aussi de la gastronomie – l'auteur n'a pas son pareil pour vous faire rêver sur l'essence de la rose (une page tout entière est étonnamment consacrée à la composition d'un parfum), saliver sur une blanquette à la sauce de vanille (on en mangerait !), décrire un tableau (on le voit), évoquer une musique (on l'entend presque) – sans oublier une belle érudition sur Paris et son passé historique en toile de fond, distillé en une myriade d'anecdotes, superbe recherche documentaire ! Pour la petite histoire, Ingrid Astier, 31 ans, est une jeune femme éclectique, spécialiste de Cioran (cité au passage), adorant la cuisine (elle a publié plusieurs ouvrages sur le thé, le chocolat...), l'art, touche à tout en musique, calligraphe à ses heures, et qui a dû beaucoup s'amuser à glisser ses ingrédients de prédilection dans son polar...
Elle a concocté à son lecteur une intrigue particulièrement retorse puisqu'aux trois quarts du livre, alors que l'on pense le premier meurtre résolu, un coup de théâtre intervient : une barque à la dérive dans laquelle gît une femme éviscérée - nouveau crime de celui que l'on a surnommé «le Tueur de la Seine» ? La panique pourrait s'emparer de Paris, la presse s'enflammer...«La Seine charriait les secrets de ceux qui avaient voulu noyer leur chagrin. Et eux, ils devaient faire parler ces secrets. Quitte à affronter leurs propres démons. La ronde de nuit n'était pas une croisière, la Seine suintait, fleuve de pétrole qui poissait l'âme». Il faudra attendre les toutes dernières pages, plus un troisième crime atroce, pour connaître enfin le dénouement et, de choeur avec les enquêteurs, dont on a partagé le quotidien, respirer l'apaisement d'après la tempête. Car là aussi, Ingrid Astier a le talent de l'intime, nous donnant à percevoir les émotions de ses flics, leurs espoirs, leurs angoisses, comme si l'on y était – indéniable épaisseur psychologique, portraits tourmentés ou attachants : on n'oubliera pas de sitôt le jeune Rémi Jullian, flic solitaire et fin observateur, fou de Paris et de la Seine qu'il connaît comme sa poche, ni le commandant Jonathan Desprez, à la tête de cobra, qui ne dort que d'un oeil, ou encore le médecin légiste, Line Letdaï, à la forte personnalité...
Pour son entrée à la Série Noire, ce coup d'essai est un coup de maître !