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Leonardo Padura, Cuba livre

Publié le 15/07/2010
Un dossier exclusivement consacré à cet auteur cubain, auteur d'un cycle des quatre saisons tout à fait savoureux.

Leonardo Padura écrit des romans policiers qui se passent à La Havane, où lui-même est né en 1955, et où il vit toujours. Il est romancier, essayiste, journaliste, et auteur de scenarii pour le cinéma.
Avec Cuba en toile de fond de ses romans, il met en scène des aspects de l'histoire et de la réalité cubaine, quotidienne et politique bien sûr, souvent amère. Son style, littéraire et impeccable, sert son propos, ne détestant pas les digressions qui peuvent prendre la forme de nostalgie du passé, réflexion sur l'échec des utopies, des illusions mises à mal. Il dévoile ainsi le malaise de ce qu'il appelle "la génération cachée", génération de trentenaires qui n'a connu que le revers de la médaille révolutionnaire.

Le cycle des quatre saisons

Padura a l'idée originale du cycle Les Quatre Saisons, à raison d'un roman par saison. Dans l'ordre chronologique, ce sera la Havane en hiver avec Passé parfait, le printemps avec Vents de Carême, l'été avec Electre à la Havane, et dernier volet : L'Automne à Cuba.
Le personnage principal en est le lieutenant Mario Conde, qui aurait dû vivre le temps de la tétralogie, mais que son créateur n'a pu se résoudre à abandonner puisqu'on le retrouve ensuite dans Adios Hemingway et dans le nouvel opus de cette rentrée littéraire 2006 : Les Brumes du passé.
Pour la petite histoire, alors qu'il avait déjà rédigé les deux premières aventures du cycle des Quatre Saisons, Padura, qui travaillait comme journaliste pour un quotidien a réalisé une enquête sur l'histoire du quartier chinois de La Havane, ce qui lui a donné l'idée d'un récit écrit en marge avec Mario Conde, qu'il a repris pour faire un court roman anecdotique intitulé Mort d'un Chinois à La Havane.


Les personnages

Padura met en scène des personnages récurrents, aux surnoms éloquents, qui constituent tout un petit monde auquel le lecteur familier s'attache immanquablement, à commencer par Mario Conde et ses deux amis d'enfance.

Mario Conde dit "le Conde" (en français : "le comte")
Son héros principal, Mario Conde, deux divorces, est un flic désenchanté, confronté à l'arrivisme, trafic d'influence, magouilles, corruption, fraudes etc... Au début de la série, il est âgé de 34 ans. Il ne sait pas trop pourquoi il est devenu policier, et à la question de son supérieur avoue son manque de vocation.
Quand ça va trop mal, Mario recourt au rhum. C'est aussi cela, la réalité cubaine ! Le premier épisode du cycle des Quatre Saisons s'ouvre sur un lendemain de cuite mémorable.
"Il n'eut pas besoin de réfléchir pour comprendre que le plus difficile serait d'ouvrir les yeux. D'accepter sur ses pupilles la clarté du matin qui resplendissait sur les carreaux des fenêtres et peignait toute la pièce de sa glorieuse luminosité. Et de savoir alors que l'acte essentiel de soulever ses paupières revient à admettre qu'à l'intérieur de son crâne s'installe une masse glissante, toute prête à entamer une danse douloureuse au moindre mouvement de son corps. Dormir, peut-être rêver, se dit-il, répétant la phrase obsédante qui, cinq heures auparavant, l'avait accompagné au moment où, tombant sur son lit, il respirait le parfum profond et obscur de sa solitude. Dans une pénombre épaisse, il vit son image de pénitent coupable, agenouillé devant la cuvette des toilettes, déchargeant des cascades d'un vomi ambré et amer qui semblait ne jamais devoir s'arrêter. Mais la sonnerie du téléphone continuait à résonner, comme des rafales de mitraillette qui perforaient ses oreilles et trituraient son cerveau lacéré en une torture parfaite, cyclique, tout simplement brutale."
Dans sa jeunesse, Mario avait pour ambition "d'être écrivain, comme Hemingway". Au lycée, il fera la rencontre déterminante d'un vieux bibliothécaire unijambiste, qui le guidera dans ses lectures : "La relation avec Cristobal le boîteux, comme ils l'appelaient tous au lycée, fut une des rencontres décisives de la vie de Mario Conde qui non seulement devint un lecteur vorace et obéissant, de l'espèce capable de finir n'importe quel livre commencé - il avait réussi à vaincre Les Misérables et même La Montagne magique - , mais avait également commencé à aimer les livres et les bibliothèques à la façon des croyants qui adorent leurs églises : comme des lieux sacrés où la profanation n'est pas admise, sous peine de condamnation éternelle.". "Cristobal l'avait orienté dans ses lectures en lui fournissant des livres, mais il avait surtout été le premier à découvrir que le jeune garçon avait une sensibilité latente et il lui avait enjoint de tenter sa chance dans l'écriture".
Quand il quittera la police (dans l'épisode Adios Hemingway où l'intrigue tourne autour de l'écrivain américain, qui a vécu et possédé une maison à Cuba), "le Conde", grand amateur de littérature, décidera d'écrire et de vivre du commerce des livres. De nombreuses références littéraires parsèment donc les romans de Padura, à l'image des lectures de son personnage. Dans Les Brumes du passé, dernier opus en date, on trouve des pages mémorables sur l'amour des livres et des bibliothèques, que de nombreux Cubains sont contraints de vendre pour pouvoir manger. L'émerveillement du Conde découvrant la bibliothèque de livres rares est un bonheur d'érudition sur la littérature cubaine, établissant presque une bibliographie de l'histoire de l'édition de l'île.

Carlos le Flaco dit "le Flaco" (en français : "le maigre")
Carlos et Mario se sont connus au lycée. Leur relation d'amitié est née ce jour lointain où, en classe pré-universitaire au lycée de La Vibora, Mario a demandé à Carlos une lame de rasoir pour tailler la mine de son crayon. A l'époque, Carlos était maigre - d'où son surnom. Depuis, vétéran des guerres d'Angola, la moelle épinière détruite, après plusieurs interventions chirurgicales inutiles le Flaco est devenu un homme obèse, cloué à son fauteuil roulant. "Aujourd'hui, Carlos le Flaco n'est plus maigre, il pèse plus de deux cents livres, il dégage une odeur aigre comme tous les gros et le destin s'est acharné sur lui". Pour supporter son sort, Le Flaco se suicide à petit feu, à coups de rhum et d'abus de nourriture à tel point que "sa corpulence maladive déborde de ce fauteuil de malheur". Une des missions sacrées de Conde est d'être pour son ami une compagnie et un soutien matériel.

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Bibliographie