Chargement...
Chargement...

Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 1)

Publié le 15/03/2011
Il faudra peut-être un Salon du Livre, celui de Paris, pour amener à cette grande littérature un public curieux et exigeant...
La Scandinavie, c'est plus de 18 millions d'habitants : Danemark, Féroë, Islande, Norvège, Suède mais pas la Finlande (quoique certains Finlandais parlent suédois...), une sorte de lointain qui nous est pourtant proche, mais chez qui on voit facilement des barbares ou des marchands de meubles en kit. Leur haute culture supporte pourtant la comparaison avec les plus grandes, leur littérature est de belle lignée et depuis fort longtemps, que l'on songe aux sagas, aux ballades médiévales. Le plus drôle c'est que ses auteurs, peu lus et sans doute parce que leur langue est un frein, attribuent le plus prestigieux des prix, le Nobel. L'injustice qui les touche et dont peuvent témoigner les libraires qui voient peu de monde se bousculer devant les rayonnages, à l'exception de quelques best-sellers qui font illusion, s'estompe quand on pense que nous sont accessibles tous les plus grands noms. Parler de « littérature scandinave » n'est pas un vain concept, pratique car ces langues sont toutes issues d'un fond germanique commun, qu'elles possèdent une unité historique et artistique véritables : épargnés par les invasions, christianisés durant la même période, convertis au luthérianisme, passés par les mêmes agitations classiques puis romantiques pour se retrouver dans le bain commun de la social-démocratie, les scandinaves forment un tout. Et qui plus est, malgré l'invasion de l'anglais, ils se comprennent tous entre eux.
Comme le souligne Régis Boyer, grand spécialiste et inlassable défenseur de leur cause, leurs langues ressortissent d'une « branche septentrionale de l'ensemble germanique : ils parlaient une langue très proche des variantes orientale (gotique) et occidentale (qui donna lieu à l'allemand, néerlandais, anglais) dudit germanique ; restés à l'écart du bouillonnement européen, sans irruptions étrangères, leurs langues sont très proches. Surtout l'islandais du fait de l'isolement insulaire, bloqué depuis l'an mil, et n'ayant pour ainsi dire pas évolué, représente un état ancien de ces langues. » On rappelle souvent que les Islandais pratiquent une langue contemporaine de celle de La Chanson de Roland...

L'Edda est un livre immense (pour l'heure indisponible), la pierre d'angle d'une littérature mais il n'est pas accueilli dans notre rayon du fait de ses résonances mythologiques, sorte de texte fondateur de civilisation. Les sagas en revanche font désormais partie du patrimoine littéraire européen et intéressent largement le public français, ayant même droit à un volume de La Pléiade. Il s'agit d'un récit en prose (parfois en vers) qui raconte une « histoire » héritée de la tradition orale et c'est une véritable « spécialité » islandaise du XII° au XIV° siècle dont on ne connaît pas les auteurs. Inutile de préciser que c'est aussi d'un point de vue formel qu'il s'agit de grandes oeuvres : composées avec précision et polies par une longue oralité musicale, dans une langue riche, elles témoignent de visions du monde sensibles et profondes. Certes, les thématiques en sont plutôt viriles. On s'y combat, on s'y méprise, on s'y venge beaucoup ; le destin a une grande part dans les histoires qui malmènent des héros victimes d'un geste de trop, d'une phrase malheureuse. Tragédies parfois stupéfiantes qui ressuscitent un monde âpre, elles se ressemblent souvent mais restent uniques. Elles ont en tout cas marqué une sorte d'âge d'or littéraire qui fait passer les siècles suivants pour une période ingrate. La faute à Luther ? Ce n'est pas si faux...
En fait il faut attendre le XVIII° pour trouver une figure d'importance. Ludwig Holberg né en 1664, qu'on connaît mieux chez nous depuis peu, va imposer une rénovation du théâtre qui lui permet d'oser la comparaison avec Molière dont il s'inspire d'ailleurs largement. Mais s'il reste connu c'est pour ce splendide Voyage souterrain de Niels Klim, fantaisie fantastique que les Norvégiens lisent encore avec émerveillement. Figure majeure du Classicisme, il impose son nom comme le fera un autre original pendant la période romantique : Carl Jonas Love Almquist (1793-1866), novateur inspiré dont la lecture aujourd'hui conserve la vitalité ironique de l'époque qui l'a vu naître. On songe à Sara (1838), splendide petit bijou romanesque d'une modernité impressionnante qui nous fait vivre les amusants tourments de l'âme romantique amoureuse et anticipe sur un thème qui sera cher aux scandinaves, le féminisme. On imagine mal l'influence d'un tel auteur dont les échos se retrouveront jusqu'à la fin du XIX° siècle.
Autre auteur majeur mais lui universellement connu (et lui aussi a droit à sa Pléiade...), Hans Christian Andersen (1805-1875) qui est le plus lu de tous les scandinaves, et sans doute pour longtemps. On ne prétendra pas ici résumer l'oeuvre si profonde et si riche de ce Danois qui a conquis la planète avec ses contes où toute la sensibilité à la douleur, à la fragilité et au Mal se fait sentir. Andersen c'est le raconteur absolu. On néglige trop souvent par chez nous un autre versant de son travail, ses récits de voyage, ses romans, son autobiographie, voire son théâtre. C'est un continent littéraire qu'un aussi petit pays que le Danemark revendique avec une fierté qui ne se dément pas.
Le siècle qui va s'achever le sera avec une triade magique dont les noms brillent encore aux frontons des théâtres et dans les rayonnages des libraires et bibliothèques : Strindberg, Ibsen et Jacobsen vont marquer les années 1870-1890, projetant le vieux monde figé et bourgeois dans la violente modernité. Mais c'est une autre histoire..(à suivre...)


Lien vers « Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 2) »

Lien vers « Un continent littéraire : la Scandinavie (partie 3) »