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Une rentrée française sur les chapeaux de roue (suite)

Publié le 02/07/2013

La carte et le territoire de Michel Houellebecq
Nouveau retour sur la scène littéraire pour l'enfant terrible des Lettres qui devient un de ses propres personnages dans un roman maîtrisé et vif où son œil acéré fait des dégâts considérables : concentré sur notre rapport à l'espace, Houellebecq suit le parcours d'un plasticien en marge d'un système qu'il en vient à dominer. Au cœur du livre le terrible assassinat de l'auteur-personnage qui se fait un plaisir d'enquêter sur sa propre mort. Les amateurs de son style seront emballés, les détracteurs souligneront un style qui sait pourtant être diablement efficace.

Photo-photo de Marie Nimier
Tout commence par une séance photo avec Karl Lagerfeld "Le Roi de la Mode" pour illustrer la rentrée littéraire dans un magazine. Derrière ses lunettes noires, Karl est un maître de cérémonie qui brouille les apparences. Cette rencontre brève mais intense permet à Marie de rencontrer un certain nombre de personnes assez romanesques : Huguette Malo ,sorte de Mary Poppins, grande collectionneuse de tout ce qui a trait au Grand Karl, Frederika qui travaille aux Thermes de Baden-Baden (son sosie d'après le Roi de La Mode) et bien d'autres. Mais c'est l'ami Edouard Levé ,écrivain et photographe, trop tôt disparu qui l'accompagne dans c(s)es vertiges de l'identité et de l'image. Photo-photo est un livre énigmatique d'une élégante légèreté .

Parures
de Franz Bartelt
Ceux qui parviendront à échapper au prolifique et inventif Franz Bartelt cette année l'auront fait exprès, car voici son troisième livre cette année, un petit certes, très petit même, pour ainsi dire une nouvelle où l'on retrouve son goût pour les personnages excessifs et sordides. Moins drôle que d'habitude, plus sombre malgré des sursauts, Parures nous invite à compatir (ou pas…) devant l'épouvantable existence d'un pauvre gamin condamné par sa mère à porter les vêtements les plus chics alors qu'ils crèvent de misère. C'est féroce, et donc réjouissant.

Le réprouvé de Mikaël Hirsch
Roman de formation kaléidoscopique, Le réprouvé nous transporte dans le Paris « littéraire » des années 40-50 à la poursuite d'un jeune homme qui a traversé les turbulences de la guerre et découvre la vie à travers le prisme de ces vies d'écrivains que son travail lui fait rencontrer. Au service de Gallimard, il est le coursier de la reprise en main de la maison par Gaston. Joli style, belle évocation, un roman qui mériterait qu'on parle de lui.

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants
de Mathias Enard (à la librairie le mercredi 8 septembre)
Un petit bijou littéraire sur un épisode méconnu de la vie de Michel-Ange. Déçu par le Pape, le génie accepte l'invitation du Sultan pour imaginer un pont sur le Bosphore. Ce voyage inattendu va projeter l'artiste dans une civilisation où beauté et poésie échappent à ses règles. Récit d'une expérience esthétique et sentimentale, ce bref roman confirme le haut degré d'exigence de l'un de nos tout meilleurs romanciers, à l'aise dans la fresque comme dans la miniature.

Cronos de Linda Lê
A Zaroffcity, ville imaginaire en proie au sadique Karaci, sa femme Una va peu à peu trouver la voie de la révolte quitte à sacrifier ce qu'elle a de plus cher. Cette fable politique très différente de ses précédents romans résonne comme un appel à la résistance d'une Antigone lumineuse qui épouse à la perfection le brasier des mots et des personnages créés par l'auteur.

Des éclairs de Jean Echenoz
Fin de la trilogique biographique de Jean Echenoz, Des éclairs nous offre le portrait d'un inconnu qui aurait pu devenir un personnage historique s'il n'avait pas négligé sa gloire et outrepassé ses limites en exigeant toujours plus de son imagination scientifique débordante et toujours trop en avance. Plus enlevé que les deux précédents opus, souvent plus drôle, ce roman signe de très belle façon cette curieuse entreprise romanesque. Un coup d'éclair ! (en librairie le 23 septembre)

Le siècle des nuages de Philippe Forest
Magnifique roman qui joue la carte de l'épopée et de l'intime, un des livres phares de cette rentrée qui mériterait un prix, qui sait ? La thématique du deuil se conjugue cette fois-ci avec la figure héroïque du père, aviateur, dont le parcours fait miroir avec l'histoire de l'aviation. Un livre riche, aérien où les souvenirs et les références viennent éclairer un parcours.

La vie est brève et le désir sans fin de Patrick Lapeyre
Trop rare Patrick Lapeyre dont la musique élégante fait encore mouche en cette rentrée avec cette double histoire d'amour qui s'approche d'une jeune femme fascinante et insaisissable pour mieux nous dire les ravages, les beautés et les élans de l'amour. Analyste jamais désabusé, Lapeyre conduit son intrigue avec tact et sait mieux que quiconque évoquer le dur temps du désir qui ne cesse pas de durer.

Nagasaki
d'Eric Faye
Il y a quelqu'un dans ma maison, se dit le terne héros du petit roman d'Eric Faye, un Japonais à la vie étriquée qui va vivre l'expérience la plus traumatisante de son existence en découvrant qu'il ne se trompait pas et qu'effectivement une femme sans domicile vit dans l'une des pièces de sa maison depuis des mois. Belle et intense réflexion sur la solitude d'un monde brouillé, Nagasaki est peut-être le plus achevé des romans d'un bon romancier.

Avec Bastien de Mathieu Riboulet
Après le subtil L'Amant des morts, Mathieu Riboulet nous livre une nouvelle et magnifique variation sur le thème des corps et des désirs masculins explorés à travers le voyeurisme d'un narrateur. Son regard tendre posé sur le personnage principal Bastien nous amène à nous interroger avec lui sur la vocation d'un amour et d'une vie vouée à retrouver dans les bras de ses amants la grâce de l'enfance.

Nora de Robert Alexis
Le trouble du narrateur pour Nora le conduit à inventer six contes érotiques qui sont autant de facettes déconcertantes, banales ou extrêmes de la sexualité. Grâce à ce miroir éclaté des fantasmes, l'auteur de La Robe et La Véranda réussit à nous persuader que tous ces personnages composent bien les projections de nos désirs les plus inavouables.

Les jardins statuaires de Jacques Abeille (à la librairie le vendredi 1er octobre avec François Schuiten)
La réédition de ce chef-d'œuvre « maudit » (dit la légende…), premier tome du vaste Cycle des contrées, nous plonge dans un monde parallèle où la dimension initiatique et merveilleuse côtoie le bizarre, la féérie voisine avec la folie et démesure d'hommes qui cultivent… des statues. L'admirable et foisonnant imaginaire de l'auteur qui signe à part un récit érotique (Odeur de sainteté) nous réserve pour cette rentrée un inédit encore illustré par l'artiste François Shuiten : Les mers perdues.

Après l'enfance
de Julie Douard
Premier roman culotté avec ce livre qui commence à genoux et tente de s'élever dans l'existence : roman de formation donc sur les traces d'un gamin plus doué que les autres membres de sa pénible famille, bâtard ironique, qui se forme à l'étrange métier de grandir, d'aimer, de supporter sa condition avec un mélange de stupeur et d'insolence. Une écriture au charme fou et une des plus belles découvertes de cette rentrée.

Le mariage de Dominique Hardenne de Vincent Engel
L'apocalypse a bien eu lieu, une guerre bactériologique impitoyable qui a figé dans leurs derniers gestes une population incrédule. Seul survivant, un peu plus prévoyant et chanceux que les autres, Dominique Hardenne qui parvient à regagner son village d'origine. La vie qu'il va mener au milieu de cadavres qu'il ne se décide pas à enterrer nous est racontée par le doué Vincent Engel avec une justesse qui nous fait sans cesse osciller entre horreur et drôlerie. Comment revisiter un thème mille fois visité avec un style précis, c'est la pari réussi par l'auteur de Retour à Montechiaro.

Beau rivage de Dominique Barberis
C'est la fin de la saison dans un petit hôtel de montagne. Dans ce cadre feutré et un peu désuet, deux couples et un homme seul se rencontrent et se côtoient. Ainsi débute un huis-clos troublant où l'isolement et l'oisiveté vont jouer le rôle de détonateur, tandis que l'imagination s'emballe et les secrets se dévoilent ; un joli tour de force signé Dominique Barbéris qui nous avait déjà envoûtés avec son précédent roman Les Kangourous.

Le tête en arrière de Violaine Schwartz
C'est une femme sans travail depuis longtemps. C'est la mère d'une petite fille. C'est une chanteuse lyrique qui prépare une audition pour jouer dans "La voix humaine" de Poulenc. C'est une épouse qui s'installe dans " La maison du bonheur" (dixit sa belle-famille). C'est une femme qui se perd dans ces " trop de papier peint, trop de voix, trop de factures, trop de choses à faire, trop de solitude…" C'est un long solo d'une voix humaine qui s'accroche et veut rester la tête droite. Premier roman tendu et envoûtant

Cent seize chinois et quelques de Thomas Heams-Ogus
Dans ce premier roman parfaitement maitrisé, ce jeune auteur s'empare d'une page oubliée de l'Italie mussolinienne : un camp de concentration en plein cœur des Abruzzes où ont été enfermés pendant quelques années une petite colonie d'immigrés chinois dont le seul crime était d'appartenir à une nation ennemie. Réflexion sur l'intolérance, mais aussi métaphore de l'exil, ce petit roman étonnant a un petit air de Désert des tartares.

On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux de Robert Bober
Paris. 1960. La guerre, l'ombre d'Auschwitz ne sont pas très loin. La grâce de Jules et Jim plane sur ce roman. Le film de Truffaut bien sûr mais aussi le texte de Henri-Pierre Roché. Ca raconte une histoire à travers d'autres histoires : celle de sa mère, de Yankel et de Leizer. Amours, disparition, chagrin... On vagabonde beaucoup dans ce Paris noir et blanc. Mais c'est surtout à travers un album rangé dans un tiroir que se fait le grand voyage de la mémoire. Et à la fin on pleure comme … au cinéma

Elles vivaient d'espoir de Claude Hunzinger
C'est un tombeau pour deux femmes qui se sont aimées au coeur des années 30 : Emma et Thérèse. Emma la solaire, Thérèse la secrète bousculent les codes et vont vers la modernité. Mais la guerre et un homme vont séparer ces amoureuses. Chacune prend un chemin dans lequel on ne les attendait pas. Emma reste auprès de son mari trop proche de l'occupant allemand, Thérèse devient chef de réseau dans la résistance et meurt sous la torture. Emma avait laissé des carnets et des photos à ses enfants : Claudie Hunzinger était sa fille. Elle restitue avec poésie et émotion l'énergie de ces deux « vies dignes d'un roman ».

Les assoiffées de Bernard Quiriny
Un culot monstre pour ce premier roman plein de culottes impitoyables, celles des terribles guerrières qui ont transformé le Bénélux en Empire féminin depuis le début des années 70. Un petit groupe de Français, curieux et assoiffés de curiosité, vont participer à la première « expédition » en terre inconnue, franchissant des frontières surprotégées, pour découvrir ce que 40 ans d'une singulière tyrannie ont fait de cet idéal féministe pour le moins dévoyé. Excessif et joueur, habile et bavard, ce roman, si on suit son jeu, réserve quelques très belles surprises.


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Bibliographie