Chargement...
Chargement...

De l’érotisme dans le cinéma de genre

Une actualité de Quentin
Publié le 15/03/2024
Découvrez quelqu'une des plus remarquables incursions de l'érotisme dans le cinéma de genre.

Le cinéma de genre est un espace filmique particulier qui, de par sa définition nébuleuse, peut se permettre plusieurs expérimentations en mêlant les thématiques et les catégories à l’envie. 
Ce qui va nous intéresser tout particulièrement aujourd’hui, c’est l’utilisation de l’érotisme dans la filmographie de certains des plus grands réalisateurs s’étant engouffrés dans le long dédale que représente le cinéma de genre.
Le but de ce petit écrit n’est pas de vous faire un inventaire exhaustif de tous les métrages existants et gravitant autour de l’érotisme, mais plutôt de vous faire découvrir un long métrage et son réalisateur, tout naturellement disponibles dans les ouvrages du rayon cinéma de la librairie.
Nous passerons en revue des auteurs tels que David Cronenberg et son métrage Crash, Clive Barker et son sublimement macabre Hellraiser, David Lynch avec Blue Velvet et enfin Ridley Scott et David Fincher avec Alien et Alien 3.



En 1996, auréolé du succès de grands films tels que Le festin nu, La mouche ou encore Videodrome, David Cronenberg propose l'adaptation du roman de J.G Ballard Crash. Nous allons y suivre James (James Spader, le docteur Jackson du Stargate de Roland Emmerich) en proie à un mariage complexe ou l’échangisme est de mise. Mais un jour, suite à un grave accident de voiture l’ayant longtemps laissé paralysé, James commence à nourrir une fascination morbide et malsaine pour les blessures et autres accidents de la route. Aux côtés de la femme avec laquelle il est entré en collision, il va arpenter un chemin dangeureux où les blessures et autres incident sont sa seule source d’excitation sexuelle…

Décrié et ayant provoqué une polémique lors de sa projection au festival de Cannes de 1996, Crash de Cronenberg est un Ovni. Débutant son film avec une trame de drame conjugal, le métrage côtoie très vite le genre du thriller avant de totalement basculer dans l’érotisme avec des scènes de sexe crues gravitant autour d’un étrange culte vouant une adoration aux accidents de voitures célébres. Ici l’érotisme sert à exacerber la frustration du protagoniste vis à vis de sa vie intime avec son épouse mais lui permettra également de découvrir la clé pour sauver son couple. Une morale un peu douteuse et transgressive mais desservant un film choc et inoubliable. Une entorse à la bien pensance qui est savamment analysée dans l’essai La transgression selon David Cronenberg.



En 1987, Le Pacte est diffusé sur les écrans britanniques pour débarquer un an après dans les salles françaises. Plus connu par les amateurs d’opéra macabre sous le nom de Hellraiser, le métrage de Clive Barker acquiert immédiatement un statut d'œuvre culte et se place en très haute estime dans le cœur des fans de cinéma d’horreur. Hellraiser : Le Pacte nous raconte l’histoire de Frank Cotton, un homme pervers et à la recherche d’une forme de plaisir ultime. Son odyssée le conduira à entrer en possession d’une configuration de Lemarchand, un casse-tête ouvrant les portes du Léviathan, une dimension infernale où résident les Cénobites. Ces derniers sont les représentants, les prêtres d’un culte vouant adoration à la souffrance extrême comme source de plaisir ultime. Frank, ayant échappé aux Cénobites le soumettant à leurs tortures innommables, se réincarne dans notre monde sous la forme d’un pantin fait de chair. Souhaitant récupérer sa forme originale, il convoquera l’aide de son ancienne amante Julia, elle qui est en réalité la nouvelle épouse de son frère Larry. Débute alors une croisade sanglante pour la liberté de Frank.

Encore plus que dans de nombreuses œuvres d’horreur, Hellraiser fait de l’érotisme et des plaisirs charnels les moteurs de son récit. Clive Barker métaphorise les envies et fantasmes des protagonistes sous la forme des Cénobites. Prêtres auto-revendiqués du plaisir, leurs styles et doctrines est très largement inspirés des communautés pratiquant le BDSM et autres genres de sexualités tabous ou controversées. Même si aujourd’hui le personnage de Pinhead (ou lead cenobite) est mondialement reconnu comme le protagoniste principal de cette saga, c’est en réalité Julia qui domine largement le premier épisode de Hellraiser. D’une beauté froide, le personnage de Julia (incarnée par Clare Higgins) trompe, ment, n’hésite pas à coucher avec son beau frère la veille de son propre mariage et use de ses charmes pour attirer de pauvres hommes dans les griffes de Frank. Le but de la manœuvre ? Pouvoir une nouvelle fois profiter des plaisirs charnels crus et bestiaux que Frank pouvait lui offrir. Julia est une impératrice de la mort, uniquement guidée par ses propres besoins, insatisfaite et frustrée par une vie guère excitante à ses yeux. 

Tout cela vous pourrez le retrouver dans le très sympathique volume de la revue Sick consacré à la saga Hellraiser (du premier opus jusqu’au très bon remake réalisé par David Bruckner en 2022).



En 1979 et 1992, sortent respectivement Alien le huitième passager et Alien 3. Aujourd’hui rentré au panthéon des sagas qui ont marqué le septième art, les Aliens sont maintenant riches de huit films (dont deux spin-offs Aliens Vs Predator), de nombreux comic-book, un prochain métrage réalisé par Fede Alvarez (à qui nous devons le très efficace Evil Dead de 2013) et enfin une série TV qui ne devrait pas tarder à pointer le bout de son nez. L’opus de 1979 réalisé par Ridley Scott nous présente l’équipe du croiseur spatial Nostromo aux prises avec un organisme étranger meurtrier né des entrailles de l’un des leurs. La créature, nommée Xénomorphe, sèmera la mort et l’horreur dans les couloirs du Nostromo pour au final être éjecté au cœur de l’espace par Ellen Ripley et son chat Jones. Après un opus placé sous la bannière de l’action propre aux années 80, où des marines coloniaux déciment à grands coups de fusils mitrailleurs un régiment de Xénomorphe sur la petite colonie de Bradley’s Hope, David Fincher est appelé à la rescousse pour réaliser le troisième opus qui est, dans l’imaginaire de beaucoup de cinéphile, un exemple parfait des enfers du développement. Dans ce troisième volet, Ellen est la seule rescapée du crash de sa navette suite au combat contre la reine alien en fin d’épisode précédent. Newt et le caporal Hicks n’ont pas survécu et de plus un facehugger semble être parmi les victimes à déplorer. Ripley se rend bien vite compte qu’elle est l’hôte d’un xénomorphe. Échouée sur la planète Fiorina 161, notre héroïne se retrouve coincée aux côtés de détenus hommes particulièrement violents, la planète étant une prison gigantesque. 

En plus de parvenir à centrer chacun des films de la saga sur un genre particulier (le premier un slasher spatial, le second un actionner, le troisième un huis-clos et le dernier un blockbuster de science-fiction), le coeur métaphorique de la saga et l’imagerie générale se dégageant des différents opus et de la figure du xénomorphe est le viol. Le mode de reproduction de la créature n’est ni plus ni moins qu’une intrusion forcée dans l’intimité des victimes : le facehugger (petite araignée extraterrestre) introduit son appendice dans la bouche des humains pour ainsi pondre et mettre en sommeil un alien dans l’abdomen des suppliciés. S'ensuit une naissance des plus graphiques (le nouveau né explose la cage thoracique de l’humain pour s’extirper du corps) et une croissance exponentielle qui donnera à la créature sa forme finale très sensuelle, mécanique et mortelle. Le parallèle ne s’arrête pas là. Des aveux du créateur du Xénomorphe, le regretté H.R Giger, l’alien possède un crâne en forme d’appendice masculin, bave à outrance lorsqu’il est sur le point de faire une victime et ne cherche qu’à se reproduire. Le xénomorphe est une créature sensuelle, meurtrière et invasive. Dans Alien et Alien 3, l’érotisme prend une autre tournure. Dans Crash il est question de frustration et de recherche de soi, dans Hellraiser il s’agit d’une recherche égoïste de plaisir et de braver les interdits les plus obscurs, mais dans Alien l'érotisme est une clé pour la survie d’une espèce. Le xénomorphe est un prédateur qui ne cherche qu’à être au sommet de la chaîne, et la reproduction, aussi violente soit-elle, est son arme.

Vous pourrez en apprendre plus sur cette imagerie passionnante dans les ouvrages Alien : toutes les archives mais également dans le petit ouvrage des éditions Taschen consacré à H.G Giger.



Puis en 1986, le grandiose David Lynch propose aux spectateurs un long métrage très personnel (ces deux précédents étant des adaptations) avec Blue Velvet. Quelques années avant de connaître le succès auprès du grand public avec Twin Peaks (qui continu encore aujourd’hui d’inspirer de nombreux artistes, comme dernièrement Sam Lake au scénario de Alan Wake II), Lynch commençait déjà à brouiller les pistes entre les genres en créant des scénarios empli de mystère, de fantastique, de polar ou encore d’absurde.
Revenu dans sa ville natale à la suite d'un grave accident subi par son père, Jeffrey découvre une oreille ensanglantée dans un champ. Apportant sa trouvaille au commissariat local, Jeffrey va alors décider de mener l’enquête lui-même avec à ses côtés la fille de l’inspecteur chargé de l’affaire. Ses recherches vont le mener à rencontrer Dorothy, une étrange chanteuse de cabaret, et son tortionnaire Frank, avatar désespéré des plus grandes craintes de Jeffrey. Ce dernier sera alors au centre d’une spirale infernale faite de désirs et d’interdit qu’il devra assouvir ou combattre.  

Ici l’érotisme employé par Lynch dans son script dessert l’évolution des personnages. Jeffrey n’est qu’un jeune homme perdu et encore immature en début de métrage. Il est maladroit, naïf et encore emprisonné dans un cercle oedipien. La découverte d’une sexualité froide, brutale, violente (parfois non consentie) et étrange met Jeffrey face aux réalités du passage à la vie adulte qui n’est pas un espace sain et simple comme ce qu’il aurait pu envisager. Bien que malsaine, la relation qu’il aura avec le personnage de Dorothy (en parallèle de celle qu’il entretient avec Sandy) lui permettra de se libérer des pulsions infantile et interdite qui le hante, tout en jouant sur deux tableaux comme un enfant ne pouvant se décider. Cercle freudien et oedipien par excellence, Blue Velvet est un thriller érotique se servant de sa thématique sulfureuse pour marquer l’évolution de son personnage.



Comme vous avez pu le constater, le découvrir ou simplement le lire, l’érotisme dans le cinéma de genre est un vecteur de message et de libération scénaristique. Sans ce prisme Barker aurait-il pu créer le Léviathan et ces prêtres infernaux ? Le xénomorphe aurait-il pu faire la rencontre de Ellen Ripley ? Et David Cronenberg aurait-il réussi à “sauver” le couple de James dans Crash ? Bien plus qu’un genre trop souvent cantonné à quelque chose de vulgaire, l’érotisme au cinéma, lorsqu’il est utilisé avec intelligence et comme pivot scénaristique, arrive à transformer les œuvres en quelque chose de grand.

Bibliographie