À travers une fine analyse des ressorts et des conséquences du gigantisme urbain berlinois, Stéphane Füzesséry se rapproche au plus près de l’expérience des habitants. Cette lecture nous plonge dans leur quotidien bouleversé par l’usage de nouveaux transports, par la diversité des lieux de sociabilités, par les rencontres avec les inconnus du métro, par la dangerosité de la rue embouteillée ainsi que les tensions sur l’approvisionnement en nourriture et les évolutions du marché de l’emploi. Tout un panel de nouvelles sensations et de tensions qui perturbent la « vie de l’esprit » comme l’analyse très tôt le sociologue allemand Georg Simmel et qui amènent du ressentiment, du rejet et de la crainte.
Ces évolutions importantes qui marquent une rupture avec l’urbanité traditionnelle allemande sont pour beaucoup un « désenchantement » (La modernité désenchantée, E. Fureix et F. Jarrige). Les nazis vont se faire les grands pourfendeurs de la mégalopole en capitalisant sur les ressentiments, d’autant plus que la crise économique frappe l’Allemagne de plein fouet au tournant des années 30.
Arrivés au pouvoir ils vont pourtant prendre le chemin inverse en imaginant Germania, « un projet de démolition-reconstruction de la capitale du Reich à une échelle qui n’a guère d’équivalent dans l’histoire de l’urbanisme occidental ». Jusqu’à la destruction de la ville par les bombes alliées dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, Berlin connaît donc déjà d’immenses bouleversements.
À la lecture de cet ouvrage de Stéphane Füzesséry, on est parfois surpris à se questionner sur notre vie citadine au XXIe siècle, sur nos manières de vivre en ville, sur nos rapports aux autres dans les espaces de sociabilité. Elle pose la question du progrès technologique, du stress urbain, de l’accélération de la vie, de la surpopulation et du contrôle politique des esprits. Une étude magistrale qui renouvelle grandement l'historiographie !