Malgré les nombreuses alertes lancées par des scientifiques sur l’instabilité géologique du site, les risques sismiques et la complexité quasi insoluble de conserver des déchets dangereux pendant plus de 10 000 ans, le Congrès américain vote l’activation du site de Yucca Mountain,. Ce même jour, John D’Agata emménage à Las Vegas.
Ce qui rend Yucca Mountain si intéressant et pertinent, c’est son refus de séparer les faits bruts de leur résonance intime. L’auteur ne se contente pas d’exposer les coulisses politiques du projet. Même si le lobbying nucléaire, les intérêts économiques et politiques jouent un rôle essentiel dans cette affaire, il montre aussi comment ces décisions reflètent notre société.
D’Agata ancre sa réflexion dans la ville même de Las Vegas, qu’il décrit avec acuité, compassion et lucidité. Loin de l’image touristique, il en fait un miroir saisissant de l’Amérique contemporaine : une ville de l’excès, de la suractivité, mais aussi de la solitude et du désespoir. Las Vegas devient un personnage à part entière, un décor symbolique où l’on consomme, oublie et rejette, comme on enterre des déchets radioactifs sous une montagne qu’on voudrait croire immuable.
Mais ce qui est épatant, c’est la manière dont ce projet politique devient pour l’auteur le socle d’une méditation philosophique et personnelle. Que transmettons-nous aux générations futures ? Comment leur faire comprendre le danger à venir dans 10 000 ans, quand même notre langage évolue en quelques décennies ? Qu’est-ce que cela dit de notre rapport au temps, à la vérité, à la mort ? À travers des fragments de souvenirs, des dialogues intimes, des détours philosophiques, l’auteur parvient à transformer un sujet concret en une expérience littéraire et existentielle.
Yucca Mountain est un texte original et remarquable qui interroge notre société et ses choix pour l’avenir. Il donne à voir, à ressentir et à penser. Il nous oblige à sortir des réponses toutes faites et à tenir ensemble la rigueur d’une enquête et la sensibilité d’un vécu. C’est un livre qu’on referme avec le sentiment d’avoir approché quelque chose d’essentiel.