Un essai brillant et accessible qui nous pousse à regarder notre alimentation - et notre histoire - autrement. A mettre entre les mains de tous les gourmands curieux !
Il y a une dizaine d’années, pour un article du Guardian, Justinien Tribillon a entrepris de marcher tout autour du boulevard périphérique parisien. De cette expérience est née une réflexion, devenue une thèse, puis un essai : La Zone : une histoire alternative de Paris. L’ouvrage s’intéresse à cet espace souvent négligé, mais pourtant central pour comprendre Paris : la « Zone », cet espace tampon entre Paris intra-muros et « sa » banlieue. C’est à partir de cette ceinture urbaine que Tribillon interroge deux grands mythes : celui de Paris, « ville lumière », centre bourgeois et iconique ; et celui de sa banlieue, périphérie populaire, historiquement territoire des marges et des marginalisés, souvent stigmatisée.
L’auteur retrace l’histoire de cette opposition entre centre et périphérie, montrant comment elle s’est construite au fil des siècles, à travers la sédimentation des choix urbanistiques, des décisions administratives, des politiques sociales, mais aussi de l’héritage colonial de la France. Il montre comment cette histoire a forgé des fantasmes de peur et de rejet, un imaginaire collectif qui contribue à définir Paris comme un centre hégémonique incarnant la beauté et l’élégance, et sa périphérie comme un « autre Paris » subalterne, associé à des clichés négatifs.
J. Tribillon s’attache à décrire avec précision les transformations de cette zone, des fortifications établies par Thiers à l’élaboration du boulevard périphérique, en passant par les débats urbanistiques entre Eugène Hénard et Louis Dausset au début du XXe siècle, jusqu’aux événements tragiques les plus récents.
L’auteur parvient, dans une écriture fluide et captivante, à mobiliser avec aisance un corpus historique riche. On est notamment touché par son analyse de la série Les Zoniers d’Eugène Atget, qui dépeint la vie de travailleurs — migrants venus des campagnes françaises ou de l’étranger — survivant avec dignité dans des conditions de grande pauvreté, dans les années 1910. Le livre est ponctuellement traversé par le témoignage personnel et intime de l’auteur, Parisien intra-muros, qui nourrit son analyse. J. Tribillon évoque avec perspicacité son expérience du marché aux puces de Saint-Ouen, une promenade nocturne vers la porte de Champerret, ou encore une visite avec sa mère à Ivry-sur-Seine, la banlieue où elle a grandi. Autant de récits analysés qui éclairent nos propres intuitions et expériences de cette ville.
Ces descriptions sensibles, associées à une documentation rigoureuse et à des mises en perspective d’événements historiques, passés comme contemporains, produisent une lecture à la fois captivante et éclairante. Un essai qui clarifie nos représentations de Paris, sans diminuer le caractère fascinant de cette capitale.