Un coup de coeur de Mollat
Avec Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit qui sort ce mois-ci, nous pensons avoir trouvé le compagnon idéal de l'un de ces voyages en solitaire, un livre lentement mûri sur un arbre dont le temps de la dégustation est enfin arrivé.
Fabio Viscogliosi, son auteur, inaugure la nouvelle collection de Brigitte Giraud chez Stock, La Forêt, et s'il a attendu d'avoir dépassé la quarantaine pour nous ouvrir à la lumière de son intime clairière, il le fait avec une fraîcheur qui pour n'être jamais mièvre possède un charme incroyable. On entame son livre seulement, croit-on, pour en apprécier la saveur et on se retrouve deux heures plus tard conquis par sa musique, les brèves mesures de sa partition sautillante qui nous fait aller et venir entre passé familial et souvenirs de lectures, sans jouer à l'érudit ou à l'égotiste forcené.
Se raconter par fragments, beaucoup l'ont fait. Fabio Viscogliosi n'invente rien mais il met à profit son sens du rythme, sa pudeur, pour composer un inattendu roman de la filiation tout en silence et en demi-teintes, donnant à la figure du père absent la première place, érigeant un modeste cairn à cet homme venu d'Italie tout jeune pour s'inventer une vie en France. L'exercice qui consiste à raconter son ascendance en lui rendant hommage est toujours délicat : Viscogliosi y va franchement, sans ces petites précautions qui font le bon sentiment dont on nous assassine ces temps-ci. Il ne s'interdit pas de lancer des pistes de réflexion qu'il se garde bien d'explorer, certain qu'une idée lancée au milieu de la forêt a parfois plus de chance d'éclore qu'une théorie mal ficelée.
Livre de questions, questionnement du souvenir et de la force des liens, Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit n'a pas à revendiquer son statut de roman, ce genre fourre-tout qui accueille n'importe quoi, il n'est pas non plus un récit, il est recueil, il est hommage, il est chansons, il est exposition de tableaux intimes, et c'est le plus beau compliment qu'on peut lui faire. Vous y croiserez Eddie Cochrane avant la chute, René Magritte, ce dynamiteur qui voulait une vie tranquille, Buster Keaton âgé et plein de sagesse, des musiciens qui composent la B.O. d'une vie, des portails si lourds à monter, et des souvenirs si faussement légers.
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