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La sélection indépendante des libraires BD

Du côté des petits éditeurs...

Le choix des libraires

Le choix des libraires

Funky Town

Une petite fille vêtue d'une tenue de Pierrot candide, une ville étrangement joyeuse et survoltée, une mère-monstre, Baba Yaga et une mystérieuse potion...
La talentueuse Mathilde Van Gheluwe invoque avec son doux crayon de papier toute une galerie de personnages folkloriques, en se nourrissant des contes Russes et du film d'animation Le roi et l'oiseau de Paul Grimault.
La petite Lele passe ses journées à sillonner ville et forêt afin de récupérer un breuvage pour son étrange mère-gargantua. Sous la forme d'un sort jeté aux lecteurs, plus on rentre dans ce récit fantasmagorique et plus les secrets s'obscurcissent et s'enveniment...
Nous avions remarqué et adoré cette jeune autrice Belge en 2016 avec son 1er livre publié chez Atrabile, Pendant que le loup n'y est pas, qui relatait le pouvoir de l'imagination et des peurs enfantines. Nous sommes maintenant éblouis par ce nouvel univers maniériste ou la ville de Funky Town va peu à peu se révéler et donner bientôt deux autres histoires nommées Midnight Roméo et La secte. Un conte moderne aussi fascinant qu'inquiétant. Coup de coeur !

David Prudhomme, L'oisiveraie

Une ode à cette bonne vieille oisiveté franchouillarde et son lot de champions du bistrot !
Le temps d'une journée, L'oisiveraie relate le quotidien de Roland et sa fine équipe, pour une éloge de la lenteur.
David Prudhomme observe et croque à merveille ces gueules attachantes de tontons pas flingueurs.
Toute la magie réside dans son trait virtuose (quelque part entre Saul Steinberg et Georges Grosz), ses gestes si justes et ses drôles de répliques.
Publiée initialement en 2004 aux éditions Charrette, cette belle édition est augmentée et recomposée par l'auteur.
C'est beau et drôle comme un vieux bistrot ! Et qu'on se le dise... c'est une des plus belles bandes dessinées de l'année !

Guerre, Marion Jdanoff

Des dessins et des mots, fragiles et combattants, pour un sujet qui l’est tout autant...

Guerre est un livre inclassable et précieux, une éphéméride qui s’autodétruit par le feu, à la lisière du cahier de dessin, de la bande dessinée, du livre d’art et du récit épistolaire. C’est une correspondance en image par Marion et pour Pauline. Une guerre de papiers qui parle du temps qui passe, de la maladie et surtout de l’amitié.

Marion Jdanoff est illustratrice, elle vit à Berlin et travaille avec Damien Tran sous le collectif Palefroi. On découvre sur leur site de belles impressions artisanales, des affiches, livres et zines à tout petit tirage, des expositions et installations.
Son univers est composé d’un bestiaire sauvage et fantastique : des chiens, des loups, des panthères et des personnages mythologiques, tandis que les êtres humains se résument souvent à des silhouettes au trait fin, crayonné et sans visage.
On découvre aussi une multitude d’éléments abstraits, naïfs et symboliques : épées, feux, fines structures de temples, maisons et montagnes, tandis que les touches de couleurs sont joyeuses ou pâles et les vides offrent une présence silencieuse.

Et tout ce petit monde se retrouve dans les centaines de pages de Guerre, pour livrer cette fois-ci une vraie bataille…

Guerre est née en novembre 2016, lorsque Pauline, une amie de Marion, lui annonce qu’elle n’est plus en rémission de son cancer du sein. La récidive s’est cachée dans son cerveau. Il faut donc reprendre le combat. Marion est terrifiée. En habitant à des milliers de kilomètres de son amie, l’artiste décide de lui envoyer des courriers de dessins en guise de présence et de soutien. À travers ce remède mystique, elle invoque toute son armée de papier, comme des tarots divinatoires et propose à son amie de brûler une de ses feuilles chaque jour pour conjurer le mauvais sort. Mais Pauline est un brin têtue, cela ne passera pas par le feu et elle se fera plutôt tatouer un des dessins de Marion. D’ailleurs, il ne faut pas chercher à comprendre toutes ces pages, ou certain détails insondables, mais plutôt les ressentir. N’oublions pas que nous sommes les regardeurs d’une certaine intimité, avec son lot de complicités et ses secrets.
Notons aussi que ce livre à la métaphore du combat n’est pas le premier, puisqu’on peut retrouver en 2016 un court récit non dénué d’humour sur le même sujet et auto-édité par l’autrice : Baston (à feuilleter ici). 

Et puis finalement, face à un échec thérapeutique, 10 mois plus tard, l’amie Pauline n’est plus. Mais ce livre d’amitié de plus de 600 pages restera vivant, comme un pied de nez à la vie si éphémère et grâce aux bons soins des éditions Super Loto et Grand Ègle (belle couverture sérigraphiée et tirage à 500 exemplaires).

« Alors que nous parlions de ce que signifie disparaître, des traces que l’on laisse dans le monde, nous avons décidé de faire publier Guerre, quand la guerre serait terminée. Sur le moment, je me suis dit que c’était très bien, que j’aurai quelque chose de concret à faire, que je continuerai à prendre soin d’elle, même après sa mort.
Maintenant que je me retrouve seule avec cette pile de dessins, je fais beaucoup moins la maline. Les sortir de leur cadre privé est étrange.
Ce livre est un bricolage de confiance et d’amitié, un projet commun qui perdure. Et je veux le voir comme un lien vivant, pas comme un monument aux morts ». Marion Jdanoff

Laisser la trace d’une relation et d’un être cher. Tout garder en mémoire. Quelle plus belle façon de penser au pouvoir du livre ?

Indépendants

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