Un coup de coeur de Mollat
Pour preuve, son tout nouvel opus L'Ile du Point Némo, chez Zulma, 450 pages de bonheur littéraire et de folie narrative sur fond d'érudition joueuse et de références assumées. Ne demandez pas à votre libraire de vous résumer l'histoire, il vous donnerait le tournis mais écoutez-le lorsque, avec ferveur et un rien d'agitation fébrile, il vous fera miroiter l'excentrique aventure de personnages – l'un s'appelle Holmes (John Shylock…), un autre Cyrus Smith, on y croise un mulâtre aussi brillant que discret, un opiomane génial et son ancienne passion, beaucoup d'unijambistes, des freaks en grand nombre, un inspecteur odieux - à la recherche d'un énorme diamant et traversant le monde, en train, en dirigeable, en bateau, voire en submersible pour contrer les plans de l'immonde Enjambeur Nô et découvrir le mystérieux Point Némo, ce lieu perdu en mer le plus éloigné des côtes.
Mais Blas de Roblès n'est pas seulement un conteur doué qui transmet son plaisir de raconter en réveillant nos vieux démons ou nos anciennes lectures, c'est aussi et surtout un romancier contemporain qui ne fait pas son deuil de la complexité narrative et entremêle avec virtuosité plusieurs intrigues en faisant exploser les conventions temporelles, nous donnant là le sentiment de baigner dans l'univers XIX° d'un Jules Verne avant de basculer ici dans l'ère des liseuses et de l'informatique au pouvoir. Riche de cette idée que “tout livre est l'anagramme d'un autre”, il avance que l'écriture implique d'y hasarder sa propre vie, au risque de perdre, tel le véritable héros de ce livre fou, Arnaud, qui pour l'amour de sa belle endormie, lui invente une histoire comme on le faisait du temps où, dans les manufactures de tabac, on lisait à haute voix pour des ouvrières passionnées.
Car si le livre est une ode à la générosité, qu'elle soit littéraire ou simplement humaine, une diatribe musclée contre les tentations folles du monde moderne et des affamés de pouvoir qui se dissimule dans cette tapisserie de Bayeux de l'aventure, c'est avant tout une formidable déclaration d'amour à la littérature et à ses géants qui ne devraient jamais cesser d'être nos fantômes les plus familiers. Stevenson avançait en son temps que la fiction est à l'adulte ce que le jeu est à l'enfant. L'Ile du Point Némo en est une parfaite et géniale illustration. C'est un pari excitant qui ne manque jamais de verve ni de sel et de poivre voire de piment fort : on en ressort ému et heureux. C'est dire s'il est réussi.