Un coup de coeur de Mollat
En 1965, les deux artistes se rendent dans le village de Tohoku au Nord du Japon. Il s'agit pour le photographe de créer un « reportage subjectif » évoquant ses souvenirs d'enfance dans la campagne japonaise pendant la Seconde guerre mondiale et d'expérimenter l'interaction entre un lieu, ses habitants et un danseur qui vient de créer une toute nouvelle forme : le Butoh.
Cette danse, affranchie de toutes conventions traditionnelles, marquée par le traumatisme de la bombe d'Hiroshima, se pratique souvent nue et privilégie la matérialité du corps (d'où les postures fixes, les contorsions, les mouvements saccadés, lents ou très rapides…).
Ce travail photographique, tout en noir et blanc, s'inspire de la légende de Kamaitachi, Démon-Belette qui hante les rizières et griffe tous individus qu'il rencontre.
Sans doute Hijikata est-il dans ce village comme ce démon, hantant les recoins des maisonnettes, l'air totalement absent ou affairé comme un animal ? Agressant les villageois, mais parfois objet de leurs moqueries ou camarade de jeu inquiétant des enfants, Hijikata erre dans le village tel un animal à demi-domestiqué, compagnon de la vie quotidienne, à la fois présent et absent. « Démon », il est doué de facultés humaines - ou du moins sait-il les singer (porter leurs vêtements, jouer du shamisen...). « Animal », on le trouve perché dans un arbre, en haut d'un toit, dévalant frénétiquement une rizière ou s'ébrouant, nu, la nuit, dans un champ labouré.
Kamaitachi est donc un reportage singulier sur la vie rurale japonaise à la fin des années 60 à travers des scènes cocasses et improbables. Mais c'est surtout une œuvre artistique, expression d'un regard photographique et exposition d'une performance de danseur : le témoignage de l'expérimentation d'une danse à l'époque très controversée.