Un coup de coeur de Mollat
Récompensé à Angoulême en 2008 par le prix international de la BD chrétienne après la parution du premier tome, le «Voyage des pères» tient pourtant une place à part dans la bande dessinée religieuse. Avec beaucoup de dérision, David Ratte a eu l'idée originale de raconter l'effervescence qu'a suscitée les trois années de prédication de Jésus du point de vue non pas des apôtres, mais de leur papas inquiets de voir leurs enfants tout quitter du jour au lendemain pour suivre ce drôle de personnage que certains appellent déjà le «messie». C'est ainsi que Jonas, Alphée et Simon décident de partir à la recherche de leur fils en suivant tant bien que mal la trace du Christ à travers les contrées désertes de la Galilée et de la Judée. Et nous voilà embarqués avec eux dans un «road trip biblique» improbable au fil des trois tomes de la série, chacun mettant l'accent sur l'un des protagoniste.
Tout commence avec Jonas, le personnage clé de cette aventure, à la fois très drôle et attachant. Vieux grincheux, éternel râleur, il assiste médusé au départ soudain de ses deux fils Pierre et André après qu'un étrange inconnu s'invite sur leur bateau et déclenche une pêche miraculeuse. Énervé, il part le lendemain dans le but de récupérer ses enfants et rencontre sur la route Alphée, père de Mathieu, et Simon, père de...Judas. Tous trois vont cheminer sans relâche à l'affut d'indices et de témoignages affinant peu à peu le portrait d'un Jésus charismatique dont les miracles répétés et le message subversif inquiètent de plus en plus les autorités romaines autant qu'ils fascinent une partie de la population. Rejoints ensuite par deux anciennes prostituées complètement dévouées au Christ après avoir eu son «pardon», ils poursuivent leur quête mystico-délirante et enchaînent les rencontres les plus incongrues, des miraculés du Christ aux plus sceptiques. Certains des plus hostiles à la «secte des chrétiens» vont même jusqu'à créer une "association de soutien aux victimes du Nazaréen" et mettre en place des cellules psychologiques pour aider ceux qui y ont cru à décrocher!...
Devant tant de perplexité, les caractères très différents des trois pères vont s'entrechoquer de manière jubilatoire. Pour Jonas, toute cette histoire de «messie» n'est qu'une gigantesque fumisterie («Si ce gars là c'est le messie, moi je suis la reine de Saba!»), et ses sarcasmes, son insolence et sa vulgarité (pourtant hilarante!) ne cessent d'énerver tous ceux qu'il croise. Simon est son antithèse parfaite: gaillard robuste, courageux et volontaire, il reste tout le long concentré sur leur mission et temporise tant bien que mal les excès de colère (ou d'alcool!) du vieux râleur. Alphée, dont le caractère énigmatique se révèle dans le deuxième tome, est un mystique aux antipodes du scepticisme blasé de Jonas.
Autour de ces personnages attachants s'articule une quête «religieusement incorrecte» bourrée d'humour et d'inventivité dont il est difficile de décrocher. L'histoire est finement exploitée du début à la fin tant sur le plan narratif que graphique. Il faut également saluer un travail de documentation impeccable, condition indispensable pour pouvoir autant rire d'un épisode historique aussi marquant que l'avènement du christianisme.