Un coup de coeur de Mollat
Où l'on fait donc la connaissance de Bob, ancien professeur de philosophie, parlant dix-sept langues, reconverti en chauffeur de taxi quand ça lui chante, car des fois ça ne lui dit rien de transporter des clients, il préfère rouler tout seul, c'est plus tranquille, ainsi personne ne l'embête, ça se comprend. « De temps en temps il chargeait un client. Rarement. Il n'avait pas de gros besoins, ni aucun sens de l'orientation. Ce qu'il aimait c'était rouler, la nuit. Seul. Ou avec ce Black immense qu'on appelait Mister ». On l'aime d'emblée, Bob, sa vieille 404 aussi, bourrée de cassettes de jazz jusqu'à la gueule - on se demande d'ailleurs comment il s'y retrouve, mais il y arrive toujours, cherchant le morceau adéquat à écouter au bon moment - on aime aussi Mister, l'ami de Bob, jeune Black au grand cœur et à la taille immense, qui exerce ses talents de pianiste, tous les soirs, au club du Dauphin Vert. Les personnages baignent dans les références musicales comme des poissons dans l'eau, et si le titre vous intrigue, Mister himself éclairera votre lanterne en vous donnant la définition des harmoniques, page 294 : « - C'est quoi, harmeûniques ? - Les notes dernière les notes. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l'infini, ou presque. Comme des ronds dans l'eau. Comme un écho qui ne meurt jamais ».
C'est par l'intermédiaire du tendre Mister que l'histoire advient car il a appris qu'une jeune femme, Vera Nad, qui venait l'écouter dans son club de jazz, a été retrouvée morte, brûlée vive dans un entrepôt désaffecté. L'enquête, bouclée par la police en deux temps, trois mouvements, ne le satisfait pas. Véra aurait fait l'objet de représailles suite à une dette l'impliquant dans un trafic de drogue, les deux assassins ont vite été arrêtés, mis sous les verrous. Mais Mister n'y croit pas, il est sûr que la jeune femme ne se droguait pas et que cela cache autre chose. Les deux compères, Mister et Bob, vont alors s'improviser détectives, sur les traces de Vera. A petites bribes, ils découvrent qu'elle était originaire de Croatie, que l'un de ses meurtriers est un ressortissant du Monténégro, qu'elle est venue en France, à Paris, avec l'intention de jouer la comédie, qu'elle suivait des cours de théâtre depuis trois ans... L'auteur nous recompose son histoire en insérant dans le présent de l'enquête des flash-back sur la vie intérieure de Vera, qui nous plongent brutalement dans la guerre en ex-Yougoslavie - la description du siège de Vukovar est saisissante, d'autant plus insoutenable que la douceur de l'écriture contraste avec les violences décrites... Et si la vérité reposait dans le passé de la jeune femme, sur la terre embrasée des Balkans ?
Entre burlesque et horreur, ce polar vous fera passer par un arc-en-ciel d'émotions sur des airs de jazz ! comme l'a écrit Corinne sur un petit mot apposé sur l'ouvrage, en pile sur une table du rayon Polar.
PS : Comme il s'agit du troisième roman policier de Marcus Malte avec ce duo de personnages, votre libraire se promet de lire Le doigt d'Horace et Le lac des singes, qui ont tous deux été réédités en poche dans la collection Folio, quelle bonne idée !
Corinne et Karine